Des victimes dénoncent le silence politique

Le Québec est la seule province au Canada où une victime d’agression sexuelle ne peut pas intenter de poursuite au civil contre son agresseur, peu importe le temps écoulé depuis que l’acte a été commis. Malgré plusieurs appels faits aux instances politiques, et ce, depuis plusieurs années, rien ne semble vouloir bouger.

Plus récemment, deux victimes, Shirley Christensen et France Bédard, ainsi que Roger Lessard, porte-parole des quatre victimes du prêtre Jean-Marie Bégin à Thetford Mines, rencontraient la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, afin de lui demander d’abolir le délai de prescription. Depuis cette rencontre du 29 novembre 2015, aucun geste n’a été fait ou aucune réponse n’a été reçue du bureau de la ministre.

«En plus de la rencontre, plusieurs personnes près du dossier et des victimes lui ont écrit, mais aucun retour n’a été fait. À qui peuvent s’adresser les victimes si ce n’est pas à la ministre de la Justice, se demande Roger Lessard. Il semble y avoir une culture du silence à l’intérieur de ce gouvernement. Est-ce que l’on peut parler d’austérité même dans les réponses?»

Le directeur d’école à la retraite a également envoyé une lettre ouverte au bureau de la ministre et à plusieurs médias. Dans sa lettre, Roger Lessard demande notamment à Stéphanie Vallée de donner «accès à la justice aux victimes d’agressions sexuelles». Il mentionne aussi que les prédécesseurs de Mme Vallée, Bertrand Saint-Arnaud et Jean-Marc Fournier, ont tous deux posé des actions concrètes envers le délai de prescription tout en laissant actif le dossier.

Un rapport inaccessible

Un autre sujet qui choque M. Lessard est le refus de la part du ministère de la Justice de rendre public le rapport des juges René Dussault et Jean-Louis Beaudoin. Quand le Parti québécois était au pouvoir de 2012 à 2014, le ministre de la Justice Bertrand Saint-Arnaud avait mandaté deux juges à la retraite pour qu’ils se penchent sur la question du délai de prescription dans le but de mieux le conseiller. Le rapport a été remis en mars 2014, mais le mois suivant, le Parti libéral reprenait le pouvoir et depuis, le rapport n’est pas sorti des tablettes du ministère.

«Lorsque nous avons rencontré la ministre Vallée en novembre dernier, il a été question de ce rapport. Elle nous a mentionné qu’il n’était pas nécessaire de faire une demande d’accès à l’information puisqu’elle acceptait de le publier sur le site du ministère», raconte Roger Lessard. Toutefois, les semaines ont passé et le rapport n’a jamais été publié.

Le 14 janvier dernier, M. Lessard faisait une demande d’accès à l’information afin d’obtenir le document. Peu de temps après, il recevait une réponse de la responsable de l’accès à l’information lui mentionnant que le ministère de la Justice ne pouvait donner suite à la demande puisque le rapport est protégé par le secret professionnel de l’avocat en vertu de l’article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne.

«Que veut-on cacher dans ce rapport? C’est un document public et tous ont le droit d’y avoir accès», déplore Roger Lessard. La décision fait présentement l’objet d’une plainte à la Commission d’accès à l’information, mais aucune réponse n’a encore été envoyée à ce sujet.

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Une tendance vers l’abolition

De plus en plus de pays tendent vers l’abolition complète du délai de prescription. Aux États-Unis, déjà 36 États l’ont aboli. L’Australie est sur le point d’y renoncer également. Au Canada, le délai a été retiré en Nouvelle-Écosse l’an dernier. Le Québec demeure donc la seule province canadienne où il existe encore. Bien qu’il ait été augmenté de 3 à 30 ans en 2013, la décision n’est pas rétroactive. Notons que dans le Code criminel, le délai de prescription n’existe pas.

Par ailleurs, de nombreuses voix se sont levées et se lèvent encore au Québec pour dénoncer le fait qu’il ne soit toujours pas aboli au civil, notamment celles de Sébastien Grammond, doyen de la section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, par le biais d’un mémoire à ce sujet publié en 2013, et de Louis Masson, ancien bâtonnier du Québec, dans une lettre envoyée à Jean-Marc Fournier en 2012. De nombreux groupes de défense des victimes d’agression sexuelle font aussi des pressions demandant la disparition du délai de prescription.

«Je ne sais pas de quoi ils ont peur, mais il est clair qu’en 2016, cela devrait faire longtemps que cette loi stupide qui empêche les victimes d’obtenir réparation soit abolie», conclut Roger Lessard.

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