Lettre ouverte à Marc-Alexandre Brousseau, maire de Thetford Mines

Bonjour Marc-Alexandre,

Je m’appelle Yv Bonnier Viger. Je suis médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive. D’un point de vue professionnel, je connais bien les effets de l’amiante et les maladies qu’elle cause.

J’ai aussi vécu de très près la souffrance qu’elle inflige aux personnes atteintes et à leurs familles. Ghislaine, ma conjointe, a reçu un diagnostic de mésothéliome en avril 1999 et est décédée en janvier 2002. Nous avons vécu 30 ans ensemble et l’amiante nous a privés, nos trois filles et moi, de sa présence depuis ce temps. Tu sais bien que je ne suis pas le seul à avoir vécu cette tragédie. L’amiante, ce n’est pas seulement une question de statistiques et d’économie. C’est un matériau plein de possibilités, mais que l’on ne peut manipuler de façon sécuritaire que dans un laboratoire.

J’ai lu dans Le Soleil, le 18 mars dernier, sous la plume de Ian Bussières, puis dans le Courrier de Frontenac, le 12 mars, sous la plume de Jean-Hugo Savard, que tu avais demandé la démission de Philippe Lessard, directeur régional de santé publique de la Chaudière-Appalaches. Je connais bien Philippe pour avoir travaillé comme médecin sous sa direction et être maintenant moi aussi directeur régional de santé publique, mais pour la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine.

Récemment, les 17 directrices et directeurs régionaux de santé publique du Québec ont informé le gouvernement fédéral qu’ils s’opposaient à ce que les résidus miniers soient exclus du règlement qui interdit l’utilisation et le commerce de l’amiante au Canada. Juste au Québec, les 800 millions de tonnes de résidus contiennent de 10 à 40 % de fibres d’amiante que l’on pourrait remettre en circulation si on commence à jouer là-dedans. Philippe a été le premier à défendre les intérêts de la population de Thetford Mines dans nos discussions. En effet, son devoir de protéger la santé de la population ne se résume pas à l’exposition à l’amiante, mais aussi au bien-être et aux conditions de vie des personnes qui doivent vivre dans cet environnement. Nous sommes tous sensibles à cette situation.

Je suggère que nous arrêtions de nous chicaner sur la dangerosité de l’amiante. C’est un produit toxique et mortel qui, comme le tabac, ne tue pas tout le monde. Mais nous sommes pris avec. Qu’est-ce qu’on peut faire pour ramener des emplois et le plaisir de vivre à Thetford? C’est de ça qu’on devrait discuter. Qu’est-ce qu’on peut faire de ces millions de tonnes de résidus pour qu’ils cessent de nous menacer? Les compagnies et les aventuriers qui ont fait des fortunes sur le dos des travailleurs et travailleuses de la région ne sont certainement pas la réponse.

L’héritage laissé à la population de Thetford, d’Asbestos, de Broughton et les autres municipalités de la région est un fardeau qui doit être partagé par toute la population du Canada. Laisser miroiter que l’on peut faire encore de l’argent avec ça, c’est encore berner la population.

Par exemple, produire du magnésium à partir des résidus miniers est une bonne idée. Ça détruit la fibre d’amiante. Mais pour que le procédé ne vienne pas encore empirer l’environnement avec des dioxines, pour disposer en toute sécurité de la silice qui restera comme sous-produit et pour nous assurer que les personnes qui travailleront dans ce processus industriel puissent le faire en toute sécurité, il faut investir dans la recherche et des équipements qui font exploser les coûts. Ce n’est pas rentable. Mais ça reste une bonne solution de décontamination. Cela pourrait aussi créer plusieurs emplois pour plusieurs dizaines d’années. Mais laisser croire que les entrepreneurs et autres aventuriers locaux pourraient en tirer profit, c’est de la foutaise. Il faut que les gouvernements fédéral et national investissent massivement dans la décontamination planifiée et sécuritaire de la région.

Alors, Marc-Alexandre, au lieu de nous chicaner et exiger la démission de personnes dévouées, qui font avec discernement et intelligence leur travail, relevons-nous les manches et proposons des solutions gagnantes à tous nos concitoyennes et concitoyens du Québec et du Canada. Tes petits-enfants pourront alors élever leurs familles dans un Thetford sain et prospère.

En toute collaboration,

Yv Bonnier Viger

Médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive,
Directeur régional de santé publique de la Gaspésie et des Îles
Professeur, Département de médecine sociale et préventive, Faculté de médecine, Université Laval