À propos du retour de l’amiante…

OPINION – L’édition du 23 mai du Journal de Québec et du Journal de Montréal nous informait de l’inquiétude des médecins devant le retour de l’amiante au Québec. Cet article reprenait les demi-vérités et les projections sans véritables fondements qui foisonnent dans le dossier de l’amiante pour ameuter la population à la suite du développement de quatre projets impliquant l’exploitation de rejets miniers serpentiniques à Asbestos et Thetford Mines.

Je crois que cette charge, digne de Don Quichotte, demande un rappel de certaines notions de base en ce qui concerne l’amiante, notions qui pourront mettre les choses dans leur vraie perspective.

Au départ, je désire souligner qu’il peut être très nocif de respirer des poussières, tant minérales qu’organiques. Elles peuvent induire des maladies mortelles et cette réalité se vérifie malheureusement dans de multiples circonstances avec, par exemple, la silice qui mène à la silicose; l’arsénopyrite ou l’énargite, des minerais porteurs d’arsenic dont les poussières, même à des doses minuscules, sont des cancérigènes notoires; les poudres métalliques comme le nickel également cancérigènes et même les poussières de farine dans les meuneries qui mènent aux «brown lungs».

Il faut cependant noter que la manutention de ces produits à haut potentiel toxique s’effectue quotidiennement à très grande échelle par des industries qui ont mis au point des technologies permettant des opérations sécuritaires. Il est donc possible de manipuler une matière agressive en utilisant des méthodes appropriées. Dans le cas du chrysotile, elles ont été développées par l’industrie minière qui en a démontré l’efficacité.

La seconde demi-vérité qui circule au sujet de l’amiante concerne le niveau d’exposition. On affirme qu’un seuil minimal de non-toxicité n’a jamais été démontré pour le chrysotile. Épidémiologiquement, l’affirmation est vraie : on n’a jamais créé une cohorte statistiquement significative à qui on a implanté une seule fibre de chrysotile pour vérifier, au cours des trente années suivantes si l’on observait l’apparition d’un mésothéliome.

Par contre, il a été démontré qu’il existe une quantité faible mais mesurable de fibre chrysotile dans l’air partout autour de la planète et ce, depuis des milliers d’années. L’érosion de sites porteurs de chrysotile et les vents sont responsables de cette situation.

La glace profonde du Groenland renferme des fibres d’amiante et on en retrouve également dans l’air, au centre du Sahara et en Antarctique. Il existe donc un fond minimal de fibres avec lequel nous avons appris à vivre.

Notre tolérance de ce seuil de fibres est bien établie par une étude épidémiologique de la population de Thetford Mines, qui confirme un état de santé chez cette population tout à fait comparable à celui de villes similaires au Québec, même si Thetford Mines est exposé à un niveau d’empoussiérage accru du fait de la proximité des haldes de résidus serpentiniques.
Une étude récente prévoyait un décès additionnel à Thetford Mines aux 35 ans, à la suite de la proximité des haldes. Une telle prédiction de mortalité comporte un vice majeur qui lui enlève beaucoup de sa crédibilité : elle ignore la présence d’autres cancérigènes que l’on retrouve dans l’atmosphère comme les dérivés de la nicotine, les HPA des moteurs diesel et les peroxydes des coiffeurs.

L’importance de ces cancérigènes est bien établie grâce à une étude des travailleurs de l’industrie navale aux États-Unis pendant la seconde guerre mondiale. À cette époque, afin de prévenir la diffusion des incendies dans les navires, on recouvrait les murs avec une couche d’amiante. Ce traitement, appelé flocage, comportait une émission massive de fibres au moment de l’application, au niveau de 100,000 fibres/ml (La norme au Québec est de 1 fibre/ml !). L’Hôpital Mont Sinaï de New York a procédé à une étude épidémiologique de ces travailleurs. Il en est ressorti que les non-fumeurs subissaient une faible augmentation de la mortalité alors que les fumeurs connaissaient une diminution de 25 ans de leur espérance de vie. Une telle exposition à l’amiante n’aurait jamais dû être tolérée mais dans ces circonstances, le meurtrier n’est pas le chrysotile, c’est la cigarette.

Cette recherche met en relief la nécessité d’évaluer la nocivité du chrysotile en fonction de son environnement et de la présence éventuelle d’autres mutagènes, car les synergismes peuvent décupler les effets. Il existe un niveau incontournable de chrysotile dans le milieu ambiant et l’être humain peut subsister en sa présence, contrairement aux métaux radioactifs qui, eux, ne connaissent pas de seuil d’innocuité.

Les rejets miniers dont l’usage est remis en question renferment quelque pourcent de fibre. Leur manutention doit donc faire appel aux techniques développées par l’industrie minière pour assurer un milieu industriel conforme aux normes. Comme ces projets seront situés au pied des haldes, le transport vers l’usine impliquera un convoyeur plutôt qu’un véhicule.
Dès leur entrée en usine, ces rejets serpentiniques seront soumis à des traitements humides, ce qui diminue les émissions de poussière par un ordre de grandeur. Divers réactifs chimiques, acide chlorhydrique, acide sulfurique, anhydride carbonique ou acide nitrique viendront modifier en profondeur la nature du matériel de départ pour donner des produits finis totalement dépourvus d’amiante.

Les haldes de résidus serpentiniques sont donc des sources intéressantes de matières premières en vue de l’extraction du magnésium sous différentes formes.
Ces opérations peuvent être effectuées avec un parfait contrôle du milieu ambiant en ce qui concerne l’émission de fibres et les produits finis seront complètement libres d’amiante en conformité avec la nouvelle réglementation fédérale.

Ce cheminement se situe à l’intérieur d’un ensemble de technologies démontrées, un constat qui devrait pouvoir mettre fin à la diabolisation des résidus serpentiniques dans certains milieux où les émotions semblent primer sur le bon sens.

Jean-Marc Lalancette, Ph D.
Professeur émérite, Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke
Président émérite, conseil de Dundee Technologies Durables