Un conflit qui allait changer la face du Québec

Lorsque, le 14 février 1949 à midi et une minute exactement, des milliers de travailleurs de l’amiante de Thetford Mines et d’Asbestos déclenchèrent un arrêt de travail qui allait durer quatre mois et demi, ils étaient loin de se douter de l’impact qu’aurait cette grève sur l’avenir du Québec. Ils visaient d’abord l’amélioration de leurs conditions de travail et une augmentation salariale horaire de 15 cents. La mobilisation sociale et syndicale qui s’ensuivit fut marquante pour le Québec.

Pas moins de 5000 mineurs descendirent dans la rue : 3000 à Thetford Mines et 2000 à Asbestos. Peu habitués à voir leur autorité contestée, le premier ministre Maurice Duplessis et son gouvernement déclarent la grève illégale dès le 15 février et la Commission des relations ouvrières révoque le certificat d’accréditation des syndicats, le 22 février.

Les semaines qui suivirent furent marquées par de nombreuses manifestations ponctuées de violence, particulièrement à Asbestos, où la présence de briseurs de grève et l’intervention de la Police provinciale (la SQ de l’époque) contribuèrent à aggraver la situation.

Les mineurs découvrirent alors la force de la solidarité, solidarité syndicale et solidarité populaire. Les appuis fusèrent de partout. Envois de vivres en provenance de nombreuses régions du Québec et aides financières syndicales importantes, vinrent soulager la misère des familles.

Mais un appui inespéré vint d’une partie du clergé. L’archevêque de Montréal, Mgr Joseph Charbonneau, prit parti pour les travailleurs. Les curés de paroisse furent invités à remettre la quête du dimanche aux archevêchés qui la remettaient aux travailleurs.

Les Gérard Pelletier, Pierre-Elliott Trudeau, Jean Marchand et Gérard Picard s’impliquèrent activement en faveur des grévistes. L’avocat Jean Drapeau, futur maire de Montréal, défendra des grévistes. Mgr Charbonneau fut exilé en Colombie-Britannique par le clergé en raison de son implication et, plus près des Thetfordois, l’aumônier des mouvements syndicaux, l’abbé Henri Masson se vit retirer son enseignement à l’École des arts et métiers.

Ces événements marquèrent sans doute le premier jalon de la séparation de l’Église et de l’État québécois qui, à cette époque, marchaient la main dans la main. Ce n’est pas non plus une coïncidence si, une décennie plus tard, on assista à la naissance de ce que l’on désigna sous le nom de Révolution tranquille.

Ce sont ces mêmes mineurs qui sont à l’origine du développement économique de notre région et même d’une partie de l’économie canadienne et québécoise pendant pas moins d’un siècle. Ils méritent notre reconnaissance, une reconnaissance qui peut se traduire par la conservation et la mise en valeur de notre patrimoine minier qui, bientôt, demeurera le seul témoin «oculaire» de cette période où travailler était un exploit en soi dont on pouvait tirer une fierté certaine.

Un patrimoine tatoué

Le patrimoine industriel est souvent un patrimoine mal-aimé, peut-être parce qu’il est mal connu. L’histoire de milliers de travailleurs et de travailleuses se profile derrière les usines, les moulins et les manufactures. La question de l’intérêt patrimonial d’un bâtiment, des installations, ne se pose pas uniquement en termes de critères esthétiques. En effet, la sauvegarde d’un bâtiment ou d’un site industriel sert surtout la mémoire collective faisant de ces lieux des témoins privilégiés de notre évolution économique, technique et sociale. Dès 1885, l’amiante est l’industrie minière la plus importante au Québec, et ce, autant pour la valeur des expéditions que pour le nombre d’ouvriers.

La mise en valeur de ce patrimoine demeure essentielle à la compréhension du Québec moderne en contribuant à la fois à la diversité des attraits touristiques et des sujets d’étude. À cet égard, le site historique de la mine King et le chevalement de la mine King constituent un bel exemple.

L’histoire ouvrière nous parle de ces gens à travers leurs conditions de travail et leurs luttes syndicales et politiques. L’histoire des travailleurs nous renseigne non seulement sur l’ensemble des changements ayant contribué à l’édification de notre société moderne, mais également sur la capacité d’adaptation et de réaction de l’homme face à la machine et aux lois du marché. La longue grève de l’amiante de 1949 est le premier conflit de travail au Québec qui réussit à interpeller toutes les couches de la société. Certains vont même jusqu’à voir, dans ce conflit, le début de la Révolution tranquille au Québec. Nous avons collectivement un devoir de mémoire à leur endroit.

Texte écrit par Nelson Fecteau en collaboration avec la SDE région Thetford