Crise des opioïdes : près d’une dizaine de cas suspectés depuis le début de l’année

La crise des opioïdes qui fait rage un peu partout dans le monde n’épargne pas la région de Chaudière-Appalaches. Depuis le début de l’année, huit décès causés par une intoxication suspectée aux drogues ou aux opioïdes ont été signalés au bureau du coroner.

Des documents obtenus par le Courrier Frontenac auprès du Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches (CISSS-CA) font état de deux morts à Thetford Mines, soit des hommes âgés de 52 et 55 ans. Un cas a aussi été signalé à Beauceville (femme de 57 ans), trois à Lévis (1 femme et 2 hommes âgés entre 25 et 57 ans), un à L’Islet (homme de 19 ans) et un à St-Odilon-de-Cranbourne (homme de 56 ans).

Le bilan de 2018 n’a rien de réjouissant puisque onze surdoses mortelles ont été confirmées sur l’ensemble du territoire, entre le 1er janvier et le 28 novembre. Selon le CISSS-CA, quatre décès sont survenus à Lévis, trois à Saint-Georges, ainsi qu’un à Disraeli, Sainte-Marie, Montmagny et Saint-Apollinaire. Dans la majorité des cas, les individus étaient âgés entre 40 et 64 ans.

À l’échelle provinciale, le nombre de décès au cours de cette période se chiffre à 183.

«Nous rencontrons des gens de tout acabit, autant les hommes que les femmes, majoritairement dans la tranche d’âge des 35-49 ans. Certains pensent qu’il s’agit de l’héroïnomane dans la rue, mais cela peut toucher monsieur et madame Tout-le-Monde.» – Mathieu Fontaine

Situation préoccupante

Le directeur du Centre Domrémy des Appalaches, Mathieu Fontaine, estime qu’il s’agit d’une situation de santé publique très préoccupante. À son avis, il faut en parler et s’occuper des consommateurs au lieu de les juger et de les tasser. Son organisme a d’ailleurs pour mission de porter aide et assistance à toute personne vivant avec une problématique d’alcoolisme et/ou de toxicomanie.

«Dans la région, nous avons du mauvais stock qui se promène et les gens n’ont pas les bonnes informations. De grandes quantités de comprimés contrefaits sont saisies. Nous retrouvons, entre autres, des amphétamines mélangées avec de la médication d’ordonnance, par exemple des antipsychotiques.»

De plus, le nombre élevé d’opiacés prescrits par certains professionnels de la santé au Québec n’aiderait en rien. «Beaucoup de gens qui ont des douleurs chroniques consomment plusieurs opioïdes tous les jours. Présentement, les pharmaciens peuvent émettre des alertes parce qu’ils s’aperçoivent que des médecins en prescrivent des fois sans trop se rendre compte de ce qu’un autre collègue peut déjà avoir donné au patient. Ce n’est pas pour mal faire, mais il y a peut-être un manque au niveau de l’information et de la sensibilisation. D’ailleurs, le plus gros problème en ce moment concerne tout l’accompagnement autour du sevrage des personnes qui sont là-dessus pendant des mois ou même des années», a déploré M. Fontaine.

Il a ajouté qu’il arrive régulièrement que des individus aient en leur possession ce type de médication tout en l’ignorant, alors que cela peut s’avérer très dangereux. «Pour plusieurs, il n’existe que le fentanyl, mais c’est beaucoup plus vaste que ça. Si je vous dis codéine, oxycodone ou hydromorphone? La liste est longue. Il y a des médecins qui font très bien leur travail et vont poser des questions. Ils vont vouloir utiliser autre chose comme des anti-inflammatoires, mais il y a également des patients qui ont une facilité déconcertante à parler à leur médecin et même parfois à leur dire quoi prescrire.»

Deux décès sont suspectés à Thetford Mines en lien avec cette crise depuis le début de l’année. (Depositphotos)

Sensibilisation

Dans le cadre de sa mission, le Centre Domrémy des Appalaches effectue une tournée des organismes communautaires et des partenaires de la région afin de les sensibiliser à la problématique.

Un comité local comprenant des représentants de la police, de la commission scolaire, du réseau de la santé et de différents organismes communautaires a aussi été formé cette année. Celui-ci traitera des cas de dépendance principalement présents sur le territoire. «Nous avons mis en place nos bases et nous allons commencer à être actifs afin de toucher un spectre plus large et avoir un message cohérent. Ne banalisons pas, mais ne démonisons pas non plus. Il y a une éducation à faire et je sens qu’il y a plus d’ouverture et de place à la discussion depuis la légalisation du cannabis», s’est réjoui Mathieu Fontaine.

Même si la situation entourant la consommation d’opioïdes est préoccupante, ce dernier continue de garder espoir. «Des consommateurs, il va toujours y en avoir, mais si nous sommes capables de travailler ensemble sur la stigmatisation à leur endroit afin qu’ils soient à l’aise de venir nous poser des questions au lieu de le faire auprès de leur pusher, pour certains, ce serait déjà cela de gagner. Nous devons être capables de dire aux gens de suivre les recommandations de leur médecin et de faire attention parce que ce ne sont pas des tylenol, et même ce produit peut être dangereux lorsque nous ne prenons pas la bonne posologie.»

Notons qu’il est possible de communiquer avec le CLSC, l’hôpital, une maison de thérapie, le travailleur de rue, le Centre Domrémy, ainsi que la ligne d’écoute Drogue : aide et référence au 1-800 265-2626.

Des trousses de naloxone (antidote contre les surdoses de fentanyl) sont aussi disponibles gratuitement dans les pharmacies et auprès de quelques organismes, dont le Centre Domrémy. «Nous sommes dispensateurs de ce type de matériel et les gens peuvent venir se procurer une trousse de manière confidentielle pour eux ou même pour un proche. Nous avons seulement besoin de savoir si la personne est un homme ou une femme et son âge. Ce que nous voulons, c’est éviter des morts», a précisé M. Fontaine.

La région maintenant mieux outillée

En octobre 2016, le Courrier Frontenac racontait l’histoire du Thetforfois Carl Dallaire qui dénonçait les délais requis pour obtenir un traitement à la méthadone. Pour contrôler les effets du sevrage à la morphine, celui-ci ingurgitait des centaines de comprimés de narcotiques donnés par tout un chacun. Pour avoir accès au programme de substitution, l’homme devait se rendre soit à Saint-Georges ou à Lévis puisqu’aucun médecin de la région de Thetford ne détenait le permis «spécial» requis.

Depuis la publication de l’article, le directeur du Centre Domrémy a indiqué que la région a fait un très beau pas en avant par rapport à l’offre et à l’accès aux services de proximité. «Une formation de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a été dispensée en novembre 2016 auprès du personnel de l’hôpital, du CLSC, d’organismes communautaires et de pharmacies. Depuis au moins six mois, nous avons un médecin prescripteur à Thetford Mines et celui-ci effectue une cinquantaine de suivis auprès de cette clientèle. C’est un gros avantage que nous avons obtenu.»