Victoire historique après des années de combat

Pour Pierre Bolduc et Roger Lessard, c’est un combat de dix ans qui s’est terminé le 12 juin dernier avec l’adoption à l’unanimité du projet de loi 55 parrainé par la ministre de la Justice, Sonia LeBel. Celui-ci rend imprescriptibles les actions civiles en matière d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale. Cette avancée est d’ailleurs qualifiée d’historique.

Les victimes peuvent désormais intenter des poursuites en cour civile, peu importe le nombre d’années qu’il s’est écoulé depuis l’agression. En 2013, le délai de prescription était passé de trois à 30 ans. Il s’agissait d’un premier pas, mais ce changement était alors jugé insuffisant par plusieurs, dont Pierre Bolduc et Roger Lessard.

Victime d’abus sexuels par le prêtre Jean-Marie Bégin dans sa jeunesse, Pierre Bolduc se bat depuis des années contre ce délai. Avec l’aide de Roger Lessard, qui agit comme porte-parole pour les victimes, les démarches se sont accumulées au cours des dix dernières années. Lorsqu’ils ont commencé, 18 États dans le monde avaient déjà aboli le délai de prescription. Aujourd’hui, ils sont 46, soutiennent les deux hommes.

Plusieurs représentations ont été faites auprès de politiciens depuis 2010 et malgré la bonne volonté des partis d’opposition, le Parti libéral du Québec qui était alors au pouvoir n’a jamais approuvé de projet de loi en ce sens.

Une étape importante de ce combat est arrivée en 2016 lorsque Pierre a acheminé une plainte au Protecteur du citoyen à propos du délai de prescription. Une étude approfondie du dossier s’était alors enclenchée et dans son rapport déposé en décembre 2017, la protectrice du citoyen Marie Rinfret recommandait l’abolition de la prescription dans les recours civils en cas d’agression sexuelle, de violence subie durant l’enfance ou de violence d’un conjoint ou d’un ex-conjoint.

« S’il est un domaine où le facteur temps doit être aboli, c’est bien dans ce contexte précis où la souffrance s’étale dans le temps et fige souvent la capacité de rebond », avait-elle notamment souligné.

Malgré ce rapport sans équivoque, rien n’a été mis de l’avant dans ce dossier du côté de la ministre de la Justice de l’époque, Stéphanie Vallée. En 2018, vient alors l’élection de la CAQ qui avait fait de l’abolition du délai de prescription l’une de ses promesses de campagne. « Nous espérions qu’avec le changement de gouvernement, ça allait être fait rapidement, mais un an passe et toujours rien. Puis, il y a quelques mois, on nous contacte pour nous dire que le projet de loi sera présenté le 13 mars. Cependant, la journée d’avant, tout est remis en raison de la COVID-19. Je pensais que ça n’irait pas avant l’automne. Quelle surprise quand Roger m’a appelé pour me dire qu’ils allaient l’adopter avant la fin de la session parlementaire! Cela a finalement pris 30 secondes afin de régler un problème sur lequel nous travaillons depuis dix ans », indique celui qui avoue ne pas encore réaliser complètement ce moment.

Depuis l’adoption du projet de loi 55, les deux hommes ont appris que la plainte au Protecteur du citoyen et le rapport qui en a découlé ont eu une grande influence sur son contenu.

« Il y a des gens qui nous ont dit que nous ne gagnerions jamais et que nous ferions mieux de lâcher prise. Ils pensent que nous faisons cela pour l’argent. Plusieurs ne savent tout simplement pas ce qu’est le délai de prescription. Il y a beaucoup d’incompréhension. Néanmoins, aujourd’hui, nous voulons remercier ceux qui nous ont supportés », affirme Roger Lessard.

La suite

Avec la fin de ce combat, un autre commence pour Pierre Bolduc. Maintenant que le délai de prescription est aboli, il peut enfin intenter une poursuite contre le diocèse de Québec. Son bourreau, lui, s’est suicidé en 1986. Il n’y a donc aucun recours possible. Jean-Marie Bégin a fait plusieurs victimes lors de son passage dans la région de Thetford dans les années 1950 à 1970. Pierre Bolduc soutient que le diocèse était au courant des agissements du prêtre et que c’est la raison pour laquelle il le déplaçait de paroisse en paroisse.

Pour lui, cette poursuite n’a rien à voir avec l’argent. Aucune indemnisation ne peut réparer, elle fait plutôt partie du processus de guérison. « Je compare ça à une cicatrice. Sur la peau, elle guérit, mais elle est toujours visible. C’est la même chose en dedans, c’est toujours là. J’aimerais ça voir le petit garçon que j’étais et ce qu’il serait devenu s’il n’avait pas été agressé. C’est impossible, mais moi je sais par où je suis passé. Les gens ne sont pas conscients des dommages que ça cause. »

Enfin, Roger Lessard et Pierre Bolduc espèrent maintenant qu’une commission d’enquête sera mise sur pied afin de faire la lumière sur les agressions sexuelles subies dans les organisations, autant sportives, religieuses que communautaires. Ils souhaitent également que le gouvernement mette de l’avant des ressources afin de mieux soutenir les victimes.

Projet de loi 55

La loi abolit le délai de prescription de 30 ans et établit que les personnes dont l’action civile a été rejetée pour la seule raison du délai de prescription pourront réintroduire une action en justice, et ce, pour une période de trois ans suivant l’adoption de la loi. Étant donné que les victimes, en raison de la nature particulière des crimes subis, peuvent parfois réaliser après de nombreuses années seulement les préjudices causés par leur agression, elles pourront désormais bénéficier de tout le temps dont elles ont besoin pour entamer un processus judiciaire contre la personne responsable de leur agression.

En cas de décès de la victime ou de l’auteur ou auteure de l’acte, une poursuite pourra aussi être intentée contre la succession de la personne responsable de l’agression dans les trois ans. Cette mesure ne s’applique toutefois pas aux communautés, aux entreprises ou aux organismes qui pourraient être tenus responsables des actions d’un ou d’une de leurs membres ou de leurs employés ou employées décédé depuis les faits.

La loi introduit également dans le Code civil du Québec des dispositions sur les excuses. Une personne pourra donc présenter ses excuses à l’égard d’une situation, sans que cela puisse constituer un aveu admissible en preuve au sens du Code civil. Cette règle sera applicable dans les matières civiles uniquement.