Transformer un arrêt obligé en créativité libérée

Quand, en mars dernier, les portes du studio-théâtre Paul-Hébert se sont brusquement fermées, la saison 2019-2020 s’est vue privée de sa production du printemps « Les Muses orphelines ». Invraisemblablement, le titre de cette pièce allait concrétiser ce qui arrivait à la société. Muselés, incapables de dire, de crier, de pleurer les mots appris, des mots étouffés, des gestes réprimés; orphelins de spectateurs, de leur énergie, leur respiration, leur réaction, leur présence.

Après avoir accusé le coup, la troupe Les Cabotins, fière de ses 53 années de théâtre de qualité, diversifié et accessible, en région, grâce à son dynamisme, son endurance, sa détermination et surtout poussée par son besoin du contact humain en cette ère de pandémie, s’est mise en mode « réaction ». « Comme un million de gens se distinguer, se raisonner, s’évoluer, se posséder », disait Claude Dubois.

C’est sur cette lancée positive qu’est né le projet « Au creux de l’oreille », lecture d’un texte de théâtre au téléphone. Une initiative lancée à Paris par Wajdi Mouawad et qui s’est étendue au Québec. Les comédiens-lecteurs et les comédiennes-lectrices, avec une grande ouverture d’esprit et habitués(es) de valoriser le texte, retrouvaient le plaisir d’être touchés(es) par l’acte de la lecture, donnaient une part d’eux-mêmes et d’elles-mêmes en privilégiant le rapport à l’autre.

« Un rendez-vous hebdomadaire aussi important qu’une représentation, le sérieux de l’implication, la préparation, le trac de bien rendre notre lecture et notre personnage…un lien de confiance, une communion encore plus ’’intime’’ que dans le cadre de représentations en salle puisqu’il y a l’introduction et la conclusion à la lecture, où nous prenons des nouvelles de notre auditeur-auditrice, puis son pouls du moment que nous venons de partager », souligne Emmanuelle Nadeau, lectrice.

À l’aveugle, certes, mais la lecture commence les yeux fermés, c’est l’âme du lecteur et de la lectrice qui fait rêver le texte à l’auditeur, l’auditrice. « Je perçois des sourires qui se transforment en petits rires parfois… Au creux de l’oreille, il y a tout un théâtre : les décors, les costumes et le jeu, tout y est, il nous transporte dans une salle noire, sans éclairage sur scène où nous sommes des spectateurs aveugles qui voient le spectacle dans leur tête », soutient pour sa part Mario Langlois, lecteur.

Pendant huit semaines, même jour et heure à chaque semaine, mesdames Drouin, Bellavance, Nadeau, Blouin, Gagné et Grégoire ainsi que monsieur Benoît attendaient leur téléphone. Avec attention et rires, ils écoutaient la suite de l’histoire, surpris et surprises à chaque fois que s’interrompait la lecture, mais toujours fidèles et au bout du fil, la semaine suivante, impatient et impatientes de connaître le fin mot de l’histoire. « Quel plaisir et quel privilège d’être la complice de ces moments de partage grâce à la magie de la lecture. Une rencontre touchante, à l’écoute d’une voix inconnue. Au bout du fil, suspendus les uns aux autres par des mots qui offrent la possibilité d’éloigner des maux », raconte Suzanne Bradet Girard, lectrice.

Nouvelle session dès février

Fière de son expérience, la troupe de théâtre Les Cabotins croit qu’une nouvelle session de huit semaines, dès février 2021, sera la bienvenue puisque la pandémie sera sans aucun doute là pour quelques mois et que cette activité lui permettra encore de créer des liens et de conserver le théâtre vivant, autrement. « Unissons-nous pour y faire face et soyons la voix et l’oreille les uns pour les autres. »

« Une chance qu’on s’a », dit M. Benoît.

Pour information et inscriptions dès maintenant : cabotins@gmail.com ou 418-338-1255 ou via la page Facebook de la troupe.