Nouvelle tarification du transport adapté : un frein à l’accessibilité aux services

La tarification actuelle prévoit un coût unique de 3 $ par transport. Le nombre en est limité à cinq courts (moins de 12 kilomètres) et à deux longs (plus de 12 kilomètres) par semaine, sans possibilité d’aller au-delà. Le 1er janvier 2021, le tarif passera à un prix de base de 3 $, plus 0,25 $ du kilomètre après cinq kilomètres. Les usagers pourront utiliser le service sans aucune limite (selon la disponibilité), mais la tarification au kilomètre sera de 0,62 $ après huit transports.

Le partage estimé des coûts de Transport adapté, dont l’organisme mandataire est la Ville de Thetford Mines, se fait comme suit : ministère des Transports (65 % du coût d’un trajet moyen pour un maximum de 19 $), Municipalités (20 % du budget à 2,89 $ par habitant) et usagers (15 % du budget).

Les objectifs du nouveau plan accepté par toutes les Municipalités étaient de mettre en place un système de tarification équitable entre les usagers et de bonifier l’offre qui ne limiterait plus le nombre de transports. Or, le résultat aura probablement l’effet inverse selon plusieurs.

Jordan Jolicoeur entouré de ses parents Claude Jolicoeur et Louisette Pouliot (Photo Courrier Frontenac – Claudia Fortier)

C’est notamment le cas pour Louisette Pouliot de Disraeli dont le fils de 29 ans, Jordan Jolicoeur, utilise le transport environ 17 fois par mois en temps normal afin de se déplacer vers Thetford Mines.

D’une facture mensuelle de 102 $, la nouvelle tarification fera passer celle-ci à 580 $, une somme qui lui sera impossible de défrayer. « Avec l’aide sociale, après sa pension et ses besoins personnels, il ne lui en reste pas beaucoup. Il faudra qu’il laisse tomber des choses. C’est très pénalisant parce que nous n’avons aucun de ces services à Disraeli. Ça fait depuis l’âge de six ans que Jordan va à Thetford Mines pour ça, nous n’avons pas le choix, tout y est centralisé. On parle d’équité, mais ce n’est pas notre faute si les programmes ne sont pas offerts chez nous. »

Pour ce qui est de l’offre bonifiée, elle soutient que c’est en partie vrai puisqu’auparavant, même s’il y avait une limite, celle- ci n’était pas appliquée quand le service était disponible et que le transporteur allait déjà dans son secteur.

« Mon fils n’est pas le seul à être touché par cette situation. Une mère m’a dit qu’elle gardera sa fille à la maison après les Fêtes. C’est triste parce qu’on recule au lieu d’avancer. »
Selon elle, les Municipalités et le comité de travail n’ont peut-être pas bien analysé les effets. Elle souhaite donc qu’ils refassent leurs devoirs en ce sens.

Sylvie Lacroix dit qu’elle devra se limiter dans son nombre d’utilisation du service. (Photo gracieuseté)

Ce sentiment est partagé par Sylvie Lacroix, une résidente d’Adstock qui utilise aussi le service. « Au lieu de 6 $ pour l’aller- retour, cela m’en coûtera une trentaine. C’est certain que je vais me priver et choisir des rendez-vous plutôt que d’autres. Ça va dépendre des finances. »

Elle considère que même si elle habite plus loin, elle a le droit aux mêmes services que les citoyens de Thetford Mines et que les modifications apportées augmentent les iniquités entre les usagers au lieu de les régler.

Pour sa part, Rita Vigneault, mère de Pierre Luc Rhéaume, un adulte vivant avec une trisomie 21 et résidant à Adstock, a envoyé la semaine dernière une lettre à l’attention du préfet de la MRC des Appalaches, Paul Vachon, du comité ayant travaillé sur la nouvelle tarification, ainsi qu’à celle du directeur de Transport adapté, Dany Moisan, et à son conseil d’administration.

Elle soutient que le nouveau plan est « une offense faite à cette clientèle, car il ne respecte en rien la vocation première que devrait avoir le transport adapté », soit « offrir un service permettant de favoriser et de promouvoir l’inclusion de celle-ci au plus grand nombre de programmes possibles, et ce, à un prix respectant leur capacité de payer ».

Demande de moratoire

Le Regroupement des personnes handicapées physiques de la région de Thetford (RPHPRT) et l’Association renaissance des Appalaches ont envoyé une lettre commune à la Ville de Thetford Mines et aux conseillers afin de demander un moratoire sur le nouveau plan en attendant que le comité puisse le revoir. Au moment d’écrire ces lignes, ils n’avaient pas reçu de réponse.

D’ailleurs, la directrice du RPHPRT, Marylène Therrien, fait partie de ce comité et n’approuve pas du tout les changements qui ont été apportés. « Nous avions travaillé sur plein d’autres choses, mais en mars tout est tombé sur pause. Nous ne nous sommes pas revus avant une présentation du nouveau plan sur Zoom au mois de septembre. J’avais fait part de mon désaccord, notamment parce que le trajet court passait de 12 à cinq kilomètres. J’avais aussi fait des commentaires sur d’autres points. Deux semaines après, il y a eu une réunion de dernière minute à laquelle je n’ai pas pu assister. Par la suite, j’ai été avisée en tant que partenaire que ça avait été adopté. »

Mme Therrien comprend le principe d’établir une facturation mensuelle, mais elle aurait préféré que cela se fasse davantage comme le transport en commun et moins comme le taxi en vendant une passe prépayée. « Ce n’est pas vrai que les usagers seront capables de calculer combien de kilomètres ils ont fait dans le mois. Il y en a qui vont faire des sauts. »

Selon elle, cela n’aura pas seulement un impact sur les usagers de l’extérieur de Thetford Mines, mais aussi sur ceux du territoire résidant à plus de cinq kilomètres. Elle ne voit pas non plus les autres Municipalités compenser leurs citoyens puisqu’elles paient déjà un montant pour Transport adapté. « Tant mieux si elles le font, mais je n’y crois pas trop », soutient Mme Therrien.

Pour sa part, la directrice par intérim de Renaissance, Annie Houle, a souligné que l’organisme juge aberrantes les modifications apportées. « C’est un problème de droit des personnes handicapées. Nous avons déjà des gens qui nous ont avisé qu’ils ne pourraient plus envoyer leurs jeunes à nos activités après les Fêtes. C’est un enjeu de socialisation. Notre monde a besoin de sortir et de s’intégrer. C’est une catastrophe pour tous ceux qui n’habitent pas à cinq kilomètres du centre-ville de Thetford Mines. »

Elle se désole que l’avis des organismes n’ait pas été pris en compte. « On nous dit que ce fut une décision acceptée collectivement par les Municipalités et qu’il n’y a rien à changer. C’est comme si personne ne voulait en prendre la responsabilité. »

Aux Municipalités de décider

Rejoint par le Courrier Frontenac, le préfet de la MRC des Appalaches, Paul Vachon, s’est dit déçu et surpris de la réaction envers les changements apportés. Il a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un dossier de la MRC, mais que celle-ci avait offert une table de discussion afin d’arriver à cette nouvelle offre. « J’étais heureux parce que j’étais persuadé que c’était un pas dans la bonne direction afin d’améliorer le service. J’étais loin de m’attendre à cela », a-t-il affirmé.

Sa crainte est que les petites Municipalités qui n’ont pas beaucoup d’usagers se retirent de Transport adapté en raison des coûts et qu’elles offrent le service autrement. Il a souligné que le problème est avant tout géographique puisque le territoire est grand et que tout est concentré à Thetford Mines. Avec une tarification égale, c’est la ville centre qui payait pour tous.

Enfin, le maire de Thetford Mines, Marc-Alexandre Brousseau, a indiqué que cela faisait longtemps qu’une amélioration de l’offre de services était demandée, mais qu’il y a un prix à cela. Il a ajouté que les Municipalités qui voudraient compenser une partie de la facture de leurs citoyens avaient maintenant la pleine latitude pour le faire.