Violence conjugale : de l’espoir pour des changements

Au cours des huit dernières semaines, huit féminicides ont eu lieu au Québec, huit femmes tuées par un conjoint ou un ex-conjoint, laissant ainsi 20 enfants orphelins. Les organismes et regroupements des maisons pour femmes victimes de violence conjugale prient le gouvernement d’agir.

Malgré un budget provincial décevant en ce qui a trait aux femmes, la mobilisation des ressources et l’écoute actuelle de la part du gouvernement donnent de l’espoir à Chantal Tanguay, directrice de la maison d’aide et d’hébergement La Gîtée de Thetford Mines. « Quand j’ai commencé à y travailler il y a 37 ans, la violence conjugale commençait à peine à être un peu plus dénoncée. Quand le Comité transpartisan sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale a sorti ses recommandations et qu’on a vu la conférence de presse des ministres, j’ai commencé à croire que des transformations dans l’aide apportée aux victimes seront bientôt une réalité. »

Chantal Tanguay voit d’un bon œil la Commission Laurent sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse ainsi que le comité d’action récemment annoncé par le gouvernement du Québec. Il y a aussi le Comité d’examen des décès liés à la violence conjugale et dont les recommandations sont revendiquées par les groupes de femmes depuis longtemps.

Elle croit cependant que les organismes comme le sien doivent être davantage consultés dans le processus de réflexion. « On demande simplement au gouvernement de faire partie de la mise en œuvre dès le départ, pour qu’on puisse réfléchir ensemble et que l’on n’ait pas à tout défaire par la suite parce que les actions ne sont pas adéquates. On a l’expertise. Elle nous vient des femmes qu’on accompagne jour après jour. »

La pandémie n’a pas aidé

Bien qu’aucune étude n’ait été faite à ce sujet, pour Chantal Tanguay, le lien entre l’explosion récente du nombre de femmes assassinées et le confinement est facile à faire. « Chaque année, il y a environ 12 féminicides. Dernièrement, nous en avons eu huit en huit semaines. Il y a eu toute une année où le contrôle était plus facile à avoir, alors que les gens étaient confinés à la maison. Cela a peut-être donné plus d’emprise à des conjoints. Au moment de déconfiner, les femmes ont pu retourner travailler, voir d’autres personnes et leurs ailes ont pu repousser. C’est après ça qu’elles veulent se séparer parce qu’elles n’en peuvent plus. »

Lorsque la pandémie a commencé en mars 2020, la maison d’hébergement de la Gîtée était pleine. « Cela a donné un grand coup en raison des contraintes. Quand tu es victime de violence conjugale, tu n’en peux plus de te faire contrôler. Les femmes viennent ici pour être libres, mais le virus changeait la donne », explique Mme Tanguay.

L’organisme a par la suite reçu beaucoup moins de demandes, une tendance qui s’est observée partout au Québec durant la période estivale, notamment à Montréal où les maisons d’hébergement sont toujours pleines habituellement. La directrice de la Gîtée attribue cette situation à un resserrement. « Un psychologue m’avait déjà dit qu’en temps de guerre, les gens se resserrent. Ce n’est pas là que tu penses à ton avenir ou à ton bien-être. Tous essaient simplement de passer au travers. C’est ce qui est arrivé lors de la fermeture des mines. Plusieurs croyaient que nous serions débordés, mais ce fut plutôt tranquille. »

Depuis octobre, les demandes d’aide ont toutefois repris de plus belle. Ce qui inquiète particulièrement Chantal Tanguay est le fait que les situations soient de plus en plus dramatiques. Elle ne croit pas que ce soit une coïncidence.

La violence n’est pas seulement physique

Selon la directrice de La Gîtée, la violence conjugale c’est encore la croyance qu’il faut qu’il y ait des bleus pour que ce soit réel. La violence physique est plus reconnue, alors que celle psychologique amène une forme de honte et de culpabilité. « Pour que la dynamique fonctionne, pour qu’il y ait une emprise du conjoint, il va faire croire à la femme que c’est de sa faute à elle si ça ne va pas bien dans le couple ou s’il pogne les nerfs. Elle n’agit pas de la bonne manière, elle ne parle par sur le bon ton, etc. Il y a toutes sortes de justifications pour que la femme se sente responsable. Les hommes vont dire qu’ils ont perdu le contrôle, mais en fait la violence c’est une prise de contrôle. »

Elle ajoute que cela se construit comme une toile d’araignée, peu à peu, par de petites manifestations qui s’accumulent. « Si c’était gros dès le départ, les femmes auraient déjà pris leurs jambes à leur cou. Ce sont plusieurs petites choses anodines qui font que ça éclate. »

L’objectif des organismes comme La Gîtée est que les femmes diminuent leur tolérance à la violence. Les interventions servent notamment à leur faire comprendre la dynamique dans laquelle elles sont. Chantal Tanguay rappelle cependant que la priorité demeure la protection des enfants. « On a beau avoir de très bons liens avec les femmes, jamais cela ne va prendre le dessus sur la sécurité des enfants. »

Pour en savoir plus sur La Gîtée : lagitee.ca

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