Pharmacie en ligne : développer une solution avant l’arrivée d’Amazon

En faisant l’acquisition de son concurrent POSO+, la présidente et cofondatrice de la plateforme de télépharmacie Medzy, Sonia Boutin, voulait ainsi assurer la position de son entreprise sur le marché québécois.

Grâce à cette transaction, le nombre d’utilisateurs dépasse maintenant les 10 000. À partir de l’application mobile ou de son site Web, la plateforme conçue au Québec et lancée en 2019 propose une variété de services, notamment des consultations confidentielles avec des pharmaciens, un service d’urgence par téléphone, des alertes de renouvellement, le tri et l’emballage de médicaments par dose ainsi que la livraison à domicile.

Selon la femme d’affaires originaire de Thetford Mines, ce n’est qu’une question de temps avant qu’Amazon fasse son entrée dans cette industrie sur le territoire canadien. Elle souhaite donc que son entreprise devienne une alternative viable et supérieure au géant de la vente en ligne.

« La mission que je me suis donnée c’est d’amener ça le plus loin que je peux. Je ne veux pas que ma compagnie devienne une autre ‘’Amazon’’, mais notre industrie est appelée à changer. La question ce n’est pas si Amazon entre dans le marché, c’est certain que ça va arriver. Quand Uber est arrivé à Montréal avec ses gros sabots et son argent, l’industrie du taxi n’était pas prête. Il faut apprendre de ça. Si on ne fait rien, quelqu’un d’autre va prendre la place », affirme celle qui opère sept pharmacies.

Un nouveau modèle

Née à Thetford Mines, Sonia Boutin y a fait toute sa scolarité avant de devoir quitter sa ville natale pour la poursuite de ses études. Intéressée par la médecine, c’est plutôt en pharmacie qu’elle s’est dirigée dans un premier temps. « C’était à la fin des années 1970 et il y avait à l’époque de grandes transformations dans l’industrie. Jean Coutu arrivait sur le marché et on passait de petites boutiques à de grands magasins. Jules Roberge, qui était alors mon beau-père et qui est aussi devenu mon mentor, m’avait dit que la pharmacie ne serait plus jamais pareille. Il ne m’avait pas découragée, mais il m’avait fait réfléchir. »

Elle a ensuite décidé de poursuivre ses études en droit. Elle a pratiqué pendant quelques années, puis l’opportunité de retourner en pharmacie est arrivée. « Mon beau-père avait besoin de relève. J’avais fait ma maîtrise en droit, j’enseignais à l’université et il fallait encore que je fasse un doctorat, donc je me suis dit, tant qu’à étudier encore pourquoi ne pas recommencer la pharmacie. Par la suite, j’ai repris le flambeau comme patronne et je suis devenue associée chez Jean Coutu à Thetford. Ce fut une très belle expérience. J’ai fait ça pendant 12 ans avant que la vie me ramène à Montréal et que je vende mes commerces en 2008. »

Sonia Boutin a également été propriétaire sous la bannière Jean Coutu dans la région montréalaise avant de vendre encore une fois et de devenir pharmacienne indépendante. Elle a commencé à s’intéresser à une nouvelle solution et à ce qui se faisait aux États-Unis et ailleurs dans le monde. PillPack, un service de pharmacie en ligne et robotisée créé en 2013, amenait un modèle différent qui a rapidement attiré son attention… et celle d’Amazon qui en a fait son acquisition en 2018 pour plusieurs centaines de millions de dollars.

« Il y a le vouloir, mais il y a aussi le défi de développer la technologie. C’était tout nouveau et il fallait que je commence quelque part », explique la pharmacienne qui conçoit ce projet depuis 2015.

En 2018, elle s’est inscrite au Parcours Innovation PME Montréal, une initiative permettant de stimuler la croissance des entreprises. « On m’a d’abord mis en contact avec des gens afin de travailler sur une solution. Après, c’était de créer une équipe autour de moi qui allait pouvoir m’aider à mieux définir l’entreprise. »

Medzy a pu compter jusqu’à maintenant sur un investissement privé de plus de 3 millions $ afin de poursuivre le développement de la technologie.

Se rapprocher des clients

Sonia Boutin voit dans le modèle de la télépharmacie un moyen de redéfinir la relation entre le pharmacien et le client. « On a ramené le médicament à un bien et non pas à un service. Ce que je constate dans les pharmacies traditionnelles, c’est qu’on n’a souvent pas le temps. Tout professionnel veut bien faire son travail, mais quand c’est le client qui choisit son moment pour venir en magasin, on n’est pas nécessairement préparé à ça. De plus, c’est le client qui est responsable de ses renouvellements et de se rappeler de prendre ses médicaments. La télépharmacie inverse le processus en permettant aux professionnels de prendre en charge facilement ces activités pour lui. »

Elle souligne qu’en automatisant les opérations, cela redonne du temps précieux aux pharmaciens afin qu’ils puissent s’occuper des clients. « Même si physiquement, nous sommes plus loin d’eux, en réalité, nous sommes plus près de leurs besoins. Beaucoup d’entre eux préfèrent écrire plutôt que parler. Ils ont tendance à s’ouvrir davantage de cette manière et à être plus transparents. Quand on veut creuser, on va le faire au téléphone, mais généralement ils vont nous écrire. C’est spécial à dire, mais la distance ramène la proximité. »

Enfin, les habitudes de consommation des Québécois, ayant migré de façon constante vers le commerce et les services en ligne au cours des dernières années, ont aussi favorisé la réflexion de la femme d’affaires sur l’avenir de sa profession. La pandémie n’a d’ailleurs fait qu’amplifier cette tendance.