Droguée, souillée et filmée à son insu : une victime raconte son histoire

Alice ne se souvient pas de la soirée du 5 juin 2021 où sa vie a basculé. Elle subit encore néanmoins les conséquences de cette nuit où Louis Guertin et Alexandre Dolbec se sont servis d’elle « comme une poupée de chiffon », la droguant et la souillant, « jouant » avec elle pendant qu’elle était inconsciente et à leur merci.

Alice est un nom fictif puisque l’identité des victimes dans ce type de dossier est protégée. Son histoire est cependant loin d’être fictive. Elle a accepté de la raconter au Courrier Frontenac parce que c’est important pour elle que les gens sachent et pour convaincre les victimes de dénoncer.

Nous sommes à la fin d’un autre long confinement. Louis Guertin est sorti de prison il n’y a pas très longtemps. Elle l’a fréquenté par le passé. « À sa sortie, nous nous sommes revus. J’avais confiance en lui. Il sait que je suis une femme forte, très forte, et que je ne suis pas une personne qui se laisse marcher sur les pieds. »

Depuis juin 2021, Alice n’est toutefois plus cette femme forte.

Dans la soirée du 5 juin, heureuse d’avoir une invitation à sortir, elle se rend chez Alexandre Dolbec à Disraeli où Louis Guertin est déjà présent ainsi qu’une autre jeune femme. Avant son arrivée, elle a consommé un demi-comprimé de méthamphétamine et du cannabis. Rendue à destination, elle s’ouvre une bière et Louis Guertin lui donne du GHB sous forme de jus. Elle hésite à le prendre puisqu’elle ne l’a pas vu le préparer. Elle obtient l’assurance qu’il ne s’agit que d’une très petite dose, la même que « d’habitude » qui ne lui fera pas perdre conscience. Après l’avoir bue d’un trait, Alice se rend compte immédiatement que la dose est plus forte que Louis Guertin ne l’a laissé savoir. Elle s’assoit sur le divan et par la suite, c’est le néant total. Elle ne se souvient de rien entre ce moment et celui de son réveil le lendemain matin.

Lorsqu’elle reprend connaissance, elle est couchée sur une bâche bleue, sans pantalon et sans petite culotte. Louis Guertin lui dit qu’elle s’est urinée et vomie dessus. Il lui dit qu’elle lui a fait honte. La jeune femme l’aide à se laver et à se rhabiller. Alice voit la peur sur son visage, mais elle ne comprend pas pourquoi. Elle lui demande si elle veut qu’elle la raccompagne à la maison, mais Alice, croyant qu’elle a dormi toute la nuit, se pense apte à conduire et elle refuse.

Entre la maison d’Alexandre Dolbec et la sienne, elle perdra conscience à trois reprises. Elle sera arrêtée par la police pour conduite avec les facultés affaiblies, ayant aussi causé un accident avec une autre voiture pendant qu’elle louvoyait sur la route.

Ce n’est qu’un mois après les événements que l’autre jeune femme, toujours traumatisée par cette nuit, lui racontera ce qui s’est passé. Un témoignage qui a été corroboré par des images photo et vidéos prises par les deux individus et partagées entre eux sur les réseaux sociaux.

Après avoir pris le GHB, probablement une forte dose, Alice s’effondre. Les deux hommes commencent à prendre des photos d’elle pendant qu’elle est inconsciente, comme un trophée de chasse. Ils lui donnent de nouveau du GHB pendant qu’elle dort afin de la maintenir dans cet état. Ils urinent et vomissent sur elle, la brûlent avec un mégot de cigarette et étendent des cendres sur ses fesses. Ils essaient de déféquer sur elle. Alexandre Dolbec crie des encouragements à son comparse pour l’inciter à le faire. Ils rient tous les deux de la situation. Sur l’une des vidéos, Louis Guertin met la main sur sa vulve par-dessus ses vêtements et sur une autre, il met ses testicules près de son visage. Ils placent leurs pieds sur sa tête. Dans certaines vidéos, Alice émet des sons, mais elle est incapable de prononcer des phrases. Elle est en détresse et ils s’amusent avec elle.

Louis Guertin et Alexandre Dolbec, aujourd’hui âgés respectivement de 43 ans et 39 ans, ont été accusés le 7 octobre 2021 de voies de fait, d’avoir administré une drogue à une personne à son insu, d’agression sexuelle et d’avoir partagé des images intimes d’une personne sans son consentement. L’accusation d’agression sexuelle a par la suite été retirée pour les deux.

Louis Guertin a plaidé coupable à ces infractions et à d’autres accusations dans des dossiers de trafic de stupéfiants et de méfait. Il a écopé le 25 mai dernier au palais de justice de Thetford Mines d’une peine de quatre ans de pénitencier. Dolbec a aussi plaidé coupable et a reçu le 24 octobre une sentence de deux ans d’emprisonnement.

DES CONSÉQUENCES IMPORTANTES

Alice subit encore aujourd’hui les contrecoups de ce qu’elle a vécu. « J’ai des crises d’angoisse et de panique. J’ai de la rage à l’intérieur de moi. J’ai perdu des gens proches en raison de mon comportement. Certains ne comprennent pas pourquoi je me mets en colère rapidement et pourquoi je ne suis plus capable d’être en société. J’ai consulté, mais jusqu’à maintenant ça n’a pas donné grand-chose. J’ai fait une nouvelle demande pour parler à un psychologue, mais il y a des délais. »

Le sentiment de honte est quant à lui persistant, soutient la femme d’une quarantaine d’années. « Je n’en reviens pas de m’être fait avoir comme ça et d’avoir été aussi naïve. Je me disais que ça ne se pouvait pas qu’une telle chose arrive à mon âge. Je n’ai pas 18 ans et je les connais ces drogues. J’ai très honte, mais pas de raconter mon histoire. Je n’ai rien fait de mal à part avoir donné ma confiance à deux imbéciles. Je veux que ça se sache pour que les femmes fassent attention à ce qu’elles prennent et à ce qu’elles se font donner. On ne peut pas se dire que ça ne nous arrivera pas, c’est ce que je me disais avant. Ça peut arriver à tout le monde. »

Il y a aussi la peur, celle des représailles et qu’ils veuillent se venger. « L’été où c’est arrivé, je travaillais de soir et j’avais toujours peur. Au début, il fallait que je demande à des amies de venir à la maison pour que je puisse prendre une douche parce que je craignais que quelqu’un entre. Je m’attends toujours à des représailles et je crois que cette peur va rester longtemps. »

L’événement a aussi entraîné des conséquences sur son entourage et sur sa famille. « Quand quelque chose comme ça arrive, c’est tout autour de toi que ça implose. Les contrecoups, il y a plusieurs personnes qui les subissent. Ça ne touche pas que la victime, c’est tout son univers qui est blessé. »

Alice se dit aussi en colère que les accusations d’agression sexuelle aient été retirées. Elle aurait voulu que les deux individus soient inscrits sur la liste des délinquants sexuels. Ce qui la dérange d’autant plus, c’est qu’elle ne saura jamais si elle a été violée. Lorsqu’elle a été mise au courant et qu’elle a porté plainte à la police, il était trop tard pour les examens pouvant l’attester.

« Je trouve cela difficile. Mon corps le sait, mais ma tête ne peut pas en avoir la certitude. Je sais que j’ai subi quelque chose, je suis arrivée de là avec plein de bleus. Dans les vidéos, j’ai encore ma petite culotte et mes leggings, mais quand je me suis réveillée, je n’avais plus que mon chandail. Ils avaient aussi dit à l’autre femme de sortir. Je ne lui en veux pas parce qu’elle était jeune, je sais qu’elle avait peur et puis c’est grâce à elle si je suis au courant aujourd’hui. Je ne peux pas en vouloir à quelqu’un qui m’a dit la vérité. Je ne pourrai cependant jamais savoir tout ce qui s’est passé. »