Libérée après 45 ans de silence

Un immense soulagement… ce sont les premiers mots que Sylvie Colette a exprimés alors que la sentence de son agresseur venait tout juste de tomber au palais de justice de Thetford Mines. Après 45 ans de silence, elle peut enfin tourner la page.

Raymond Therrien, son ancien professeur et bourreau à la Polyvalente de Disraeli, a plaidé coupable en décembre dernier à des chefs d’accusation de rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée d’au moins 14 ans, mais de moins de 16 ans, et de grossière indécence pour les gestes commis de 1971 à 1972. Le septuagénaire a été condamné, lundi, après une suggestion commune des deux avocats, à 30 mois fermes de pénitencier. De plus, il devra se soumettre à une prise d’ADN et sera inscrit au registre des délinquants sexuels.

Sylvie Colette avait 14 ans et lui 27 ans quand les gestes ont commencé. «Ce fut un processus graduel de manipulation. Il me faisait des compliments, me gardait en dehors des heures de classe et avait des entretiens avec moi dans des locaux fermés. Il me posait des questions sur ma vie personnelle», se souvient-elle.

Les gestes à caractère sexuel ont par la suite commencé et sont devenus de plus en plus complets. Tout ça s’est principalement passé à l’école et au moins une fois à l’extérieur. L’année suivante, Mme Colette ne l’avait plus comme professeur. C’est là qu’elle lui a dit que c’était terminé. «J’avais peur, mais j’avais enfin osé dire non.»

Par la suite, Raymond Therrien ne lui a plus jamais redemandé quoi que ce soit et la vie a continué comme si rien ne s’était passé. Pourquoi la victime n’avait-elle pas dit non avant cela? «J’étais figée, je n’avais plus d’émotions, plus de sensations, j’étais paralysée. J’ai de la misère à l’expliquer. Je suis entrée en dissociation, comme si j’étais incapable de dire non. Je subissais, mais j’étais dissociée de mon corps et de mes émotions», explique-t-elle.

Elle a ensuite tenté d’oublier, sans toutefois réussir. «J’ai mis ça de côté et j’ai essayé de vivre ma vie, mais ça ne fonctionne pas comme ça. J’étais devenue comme une étrangère avec moi-même. Ce n’est pas possible de vivre comme ça.»

L’événement déclencheur

En octobre 2016, un événement déclencheur est venu secouer Sylvie Colette. Elle écoutait une entrevue avec le chanteur Corneille qui parlait de son histoire, lui qui a survécu au génocide rwandais. «Il a dit que survivre à un génocide était moins pire que de survivre à un abus sexuel, se souvient-elle. Il disait que c’était dur parce qu’on ne sait pas qu’on est une victime, on pense que c’est notre faute. Ça m’a éclairée, je me suis dit, je suis une victime. Je me suis mise à pleurer et à réaliser que je faisais que fuir depuis des décennies.»

Elle a alors réalisé tout l’impact que les abus avaient eu sur sa vie. «J’ai vécu des relations amoureuses abusives en subissant la manipulation de mes conjoints, comme si j’étais incapable de mettre des limites saines au comportement de l’autre. Je le savais, je voyais que je retombais dans un  »pattern », mais je ne faisais pas le lien», relate Mme Colette. Cette dernière a par la suite été diagnostiquée pour un choc post-traumatique, 45 ans après les événements.

«Si d’autres victimes d’abus sexuels se disent que ça fait trop longtemps pour dénoncer, elles n’ont pas raison de penser cela. Il n’est jamais trop tard.» – Sylvie Colette

Elle a rencontré des enquêteurs de la Sûreté du Québec en novembre 2016 afin de porter plainte. «Ce qui m’a motivé, c’était que je me disais que je ne pouvais pas mourir sans au moins faire l’effort de dénoncer. J’ai 60 ans, il serait temps que je bouge. C’était avant le début du mouvement ‘’Me too’’ avec toutes les dénonciations qu’il y a eu dans les médias. Aujourd’hui, je me dis que j’ai bien fait de le faire, mais à ce moment-là j’étais seule. J’avais le sentiment de plonger dans l’inconnu en rouvrant cette histoire.»

Mme Colette n’a que de bons mots pour les enquêteurs qui l’ont accueillie. «J’avais peur de parler à des inconnus, mais ils ont été extraordinaires et d’une grande écoute. Évidemment, j’ai pleuré tout le long parce que c’était la première fois que je m’ouvrais comme ça», se remémore-t-elle.

Son dossier a par la suite rapidement cheminé. Raymond Therrien a plaidé coupable avant même le début du procès. «Le juge m’a dit que j’avais été chanceuse parce que je n’ai pas eu à subir d’interrogatoire et de contre-interrogatoire en Cour», souligne celle qui souhaite aussi remercier le Centre d’aide aux victimes d’actes criminels pour leur soutien.

Dénoncer pour inspirer et se libérer

Sylvie Colette tenait à faire lever l’interdit de publication afin de pouvoir s’exprimer sur les événements. Pendant des années, chaque fois qu’elle entendait des histoires de femmes qui portaient plainte, elle repensait à ce qu’elle avait subi. Elle se disait que si Raymond Therrien avait fait une autre victime et qu’elle portait plainte, elle le ferait elle aussi, mais ça n’est pas arrivé.

Elle précise toutefois qu’elle l’a fait avant tout pour elle. «Pendant toutes ces années, j’ai porté le fardeau du secret et là d’en parer ça m’enlève un poids énorme. Je ne suis pas responsable de ça, je n’ai pas à garder le silence. (soupire) C’est nouveau pour moi de penser comme ça et c’est tellement libérateur.»

La sentence lui importait peu. L’essentiel était qu’on l’entende et on l’a entendu. Maintenant, elle peut guérir et enfin commencer à vivre.