Petit lac Saint-François : un règlement visant sa protection ne fait pas l’unanimité

Un règlement entourant la protection du Petit lac Saint-François entré en vigueur le 6 juin dernier ne fait pas l’unanimité à Saint-Joseph-de-Coleraine. Adopté par le conseil municipal, celui-ci vise à encadrer l’accès aux embarcations afin de prévenir l’apport d’espèces exotiques envahissantes, d’assurer la sécurité publique et de maintenir la qualité de l’eau.

Le « Règlement sur la protection du lac Petit lac Saint-François et de ses tributaires et sur le contrôle et la tarification des embarcations » prévoit également la « répartition équitable du coût des actions liées à la protection du lac par ses utilisateurs et de son ensemencement ». Son objectif est d’encourager l’utilisation du plan d’eau en respect des exigences environnementales.

Les heures d’accès au débarcadère municipal sont de 8 h à 20 h chaque jour. Les usagers doivent avoir procédé au lavage de leur embarcation auparavant et celle-ci doit être inspectée par l’un des membres responsables de l’Association du Petit lac Saint-François avant la mise à l’eau.

De plus, toute embarcation à moteur (électrique inclus) doit être munie d’une vignette d’enregistrement valide moyennant un coût de 30 $ par jour pour les citoyen(ne)s de Saint-Joseph-de-Coleraine (ceux-ci ont droit à trois gratuités avant de devoir payer ce montant). Le tarif pour un utilisateur non-résident est de 40 $ par jour, sans gratuité. Pour les membres de l’Association du Petit lac Saint-François, l’accès est gratuit avec un coût de 10 $ pour chaque embarcation supplémentaire. La tarification est valide pour deux personnes par embarcation et tout usager supplémentaire doit payer 10 $. À noter que les propriétaires d’embarcations non motorisés sont assujettis au règlement, notamment pour le lavage, mais leur accès se fait sans frais.

Les sommes perçues doivent être utilisées par l’association en respect de sa mission, soit protéger le lac et ses tributaires, protéger la quiétude et le bien-être des usagers et des riverains ainsi qu’ensemencer le lac. Un registre sur les revenus amassés, leur utilisation et le nombre d’usagers ayant acquis une vignette doit être tenu, le nombre de prises de doré documenté et le tout remis à la Municipalité.

En entretien avec le Courrier Frontenac, le maire Gaston Nadeau a confirmé que l’adoption de ce règlement s’est faite à la suite d’une demande de l’association. Il a aussi soutenu que la décision a été unanime au conseil municipal et que les élus veulent ainsi prévenir l’apparition de plantes envahissantes qui se retrouvent déjà dans plusieurs étendues d’eau de la région. Un lac contaminé peut amener une baisse de la valeur foncière des résidences situées en bordure, a-t-il précisé.

« Ça ne nous dérange pas que les gens de l’extérieur viennent au lac, mais nous ne savons pas où ils sont allés. Nous voulons que l’accès soit contrôlé pour nous assurer que leur embarcation est bien nettoyée », a-t-il expliqué.

Le maire Nadeau a parlé d’une rencontre en août entre la Municipalité, l’association et certains citoyens s’opposant à la nouvelle réglementation afin qu’ils puissent discuter de cette dernière et de la protection du lac. « Nous verrons ce qui en ressortira par la suite et si le règlement doit être modifié. Actuellement, il y a deux irritants, le coût et les heures d’accès », a-t-il dit en ajoutant que le lac est tout de même très peu fréquenté par les non-riverains. Il n’y aurait que quatre ou cinq pêcheurs qui s’y rendent régulièrement.

Une démarche de prévention

Le président de l’Association du Petit lac Saint-François, Claude Samson, a indiqué que la démarche vise avant tout à prévenir l’apparition d’espèces envahissantes telles que le myriophylle à épis, la moule zébrée ainsi que les algues bleues. Aucune n’a encore été répertoriée dans le plan d’eau et les riverains souhaitent que cela se poursuive. Il s’agit de « gagner le combat » contre celles-ci « avant qu’il commence ». Il tenait aussi à remercier la Municipalité de Saint-Joseph-de-Coleraine pour sa proactivité dans le dossier.

« Le but n’est pas de brimer personne ou d’éviter que les pêcheurs viennent ici. Il y a plusieurs plans d’eau contaminés dans la région et nous voulons protéger le nôtre. Il s’agit d’un lac de tête puisqu’il se jette dans le Grand lac. Nous ne voulons pas entrer en guerre, mais protéger notre investissement et nous organiser pour qu’il reste beau. La richesse de Coleraine, ce sont ses lacs », a-t-il plaidé.

M. Samson a souligné que le Petit lac Saint-François n’est pas le seul endroit où des frais d’accès au débarcadère ont été établis. Il y en a notamment au lac William à Saint-Ferdinand. Il a aussi mentionné que les sommes en surplus serviront à l’ensemencement et peut-être un jour à munir le débarcadère d’une station de lavage.

Il a par ailleurs affirmé que la barrière ne représentait pas d’enjeu de sécurité puisque la Municipalité, les pompiers, la Sûreté du Québec et les gardes-pêche possèdent une clé.

Pour un libre-accès

Ivan Bouffard, François Bourgault et Simon Rousseau s’opposent à la nouvelle réglementation. (Photo Courrier Frontenac – Claudia Fortier)

Des résidents de Saint-Joseph-de-Coleraine et habitués du Petit lac Saint-François ont lancé une pétition visant à permettre le libre-accès au plan d’eau. Ils proposent d’enlever définitivement la barrière, de la remplacer par un système de nettoyage des embarcations complètement autonome, éclairé 24 heures sur 24 et équipé d’un système d’enregistrement obligatoire, d’installer un système de surveillance par caméra efficace et d’exiger un tarif de 5 $ par embarcation pour le nettoyage obligatoire avant la mise à l’eau. La pétition a amassé près de 120 signatures de citoyen(ne)s provenant de Saint-Joseph-de-Coleraine, mais aussi de municipalités situées aux alentours.

L’un des instigateurs, François Bourgault, se dit tout à fait conscient de l’importance de protéger le lac, mais selon lui, la Municipalité et l’association ne s’y prennent pas de la bonne manière. « L’enjeu serait de s’attaquer au véritable problème qu’est la pollution du lac, et non pas de pénaliser les citoyens non-riverains, ceux habitant au village de Saint-Joseph-de-Coleraine. Aucune étude environnementale n’a été menée sur le niveau de pollution dans le lac. Il faudrait d’abord, selon moi, vérifier quelles sont les matières polluantes et localiser le problème, s’il y en a un. Plusieurs interventions peuvent se faire avant même de restreindre l’accès à tous, mesure que je considère draconienne », a-t-il écrit dans une lettre envoyée aux médias.

Il dénonce également une situation qu’il trouve injuste pour les non-riverains. « L’adoption de ce type de règlement soulève plusieurs frustrations et plusieurs questions. À commencer par les riverains qui seraient favorisés au détriment des résidents du village. Ce genre de règlement est discriminatoire et l’Association des pêcheurs sportifs du Québec nous a confirmé que notre vision était juste. »

Pour sa part, Simon Rousseau s’interroge sur le fait qu’aucune étude ou recherche n’ait été menée à propos du lac avant d’arriver à cette décision. « Au Grand lac, ils ont des bouées et des limites de vitesse pour protéger les berges. Ici, il n’y en a pas. Pourtant, on veut nous faire croire que l’objectif est de sauver le lac. »

M. Rousseau remet en question la sécurité des plaisanciers avec un accès restreint au débarcadère puisque seules quelques personnes ont la clé. Il se demande aussi la pertinence de fermer pour environ cinq pêcheurs réguliers et soutient que le règlement crée deux classes de citoyen(ne)s, les privilégiés ayant une résidence en bordure du lac et les autres qui doivent payer pour y avoir accès.

Ivan Bouffard est un habitué du Petit lac Saint-François. Grand amateur de pêche, l’horaire de 8 h à 20 h représente un problème pour lui puisque la plupart du temps, il s’adonne à ce loisir avant 8 h le matin. Si le bruit est un enjeu, il propose d’interdire les moteurs avant cette heure plutôt que couper l’accès complètement.

Les trois hommes se disent en faveur de la protection du lac, mais ils déplorent qu’aucun dialogue n’ait été entrepris avant d’arriver à ce règlement.

Une situation répandue

Mise au fait de la problématique il y a environ trois semaines, l’Association des pêcheurs sportifs du Québec (APSQ) a déposé une demande d’injonction au Tribunal administratif afin de suspendre l’adoption du règlement. Le vice-président de l’APSQ, Francis Girard, a indiqué que son association essaie toujours d’établir un dialogue avec les municipalités et les organisations responsables avant d’entreprendre d’autres démarches. Saint-Joseph-de-Coleraine n’a cependant pas donné suite aux demandes.

« À l’association, l’un de nos mandats est de nous assurer que tous les Québécois(e)s ont accès aux plans d’eau publics. Nous militons beaucoup à ce sujet », a expliqué M. Girard.

Ce dernier a reconnu que sur le fond, la démarche n’est pas mauvaise puisqu’il s’agit de protéger le Petit lac et ses berges. « Ce sur quoi nous accrochons est la façon dont le règlement est appliqué en restreignant l’accès aux non-résidents. C’est un peu la même chose pour les citoyen(ne)s non-riverains qui, après trois gratuités, devront payer 30 $. C’est un non-sens de faire une distinction entre eux. Les cours d’eau n’appartiennent pas aux municipalités, encore moins aux riverains. Tout ce qui est navigation est de juridiction fédérale. Le fait que la mise en application du règlement et les vérifications soient effectuées par des riverains, c’est aussi surprenant. »

Francis Girard a souligné que la problématique d’accessibilité aux plans d’eau est quelque chose qui se voit fréquemment au Québec. « Personne ne devrait en restreindre l’accès, par contre, certaines règles peuvent venir le régir. Les Municipalités sont en droit de mettre une clôture sur un terrain leur appartenant, mais dans la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme au Québec, il y a une clause qui stipule qu’il devrait y avoir une parcelle permettant un accès public au plan d’eau. De façon générale, son application n’est pas renforcée par le ministère des Affaires municipales. »

Enfin, M. Girard a mentionné que l’APSQ a commencé en mai une série de rencontres avec différentes municipalités du Québec afin de sensibiliser les élus quant au sujet de l’accès aux plans d’eau. « Nous sommes ouverts à tenter de trouver des solutions. Ces dernières années, notamment durant la pandémie, beaucoup de gens se sont remis à la pêche. Certaines descentes ont probablement été utilisées plus qu’à l’habitude et cela a créé des frictions. Il y a un rapport de force avec les associations riveraines qui outrepassent parfois leur mandat. »