Régionalisation de l’immigration : une expertise en péril

THETFORD. Alors que le gouvernement du Québec prévoit augmenter le nombre d’immigrants au cours des prochaines années, les organismes qui œuvrent sur le terrain auprès de cette clientèle sont sur le respirateur artificiel en raison des coupures imposées depuis plus d’un an.

C’est notamment le cas de l’organisme «Intégration communautaire des immigrants» de Thetford Mines qui se spécialise dans la régionalisation de l’immigration depuis 2003 en plus de faire la promotion de Chaudière-Appalaches auprès des nouveaux arrivants.

La directrice générale et fondatrice de l’organisme, Éva Lopez, est à bout de souffle. Son budget est passé d’environ 280 000 $ par année à un maigre 49 000 $ depuis le 7 avril 2014. «Nous sommes tombés de sept employés à une seule. Notre bureau de Lévis a dû fermer ses portes. En ce moment, je fais le travail de quatre personnes et je dois aussi prendre en charge les familles, leur trouver un logement et les accompagner. J’avoue que c’est trop pour moi toute seule», a-t-elle confié au COURRIER FRONTENAC.

L’organisme bénéficiait autrefois d’une subvention annuelle d’Emploi Québec d’environ 130 000 $ pour les services aux immigrants et aux entreprises. Ce montant a complètement disparu. Près de 150 000 $ étaient également alloués par le ministère de l’Immigration du Québec pour la promotion et le recrutement des personnes qui souhaitent s’implanter sur le territoire, mais ce budget a été amputé des deux tiers.

Des résultats éloquents

«Pendant plusieurs années, nous avons fait des merveilles dans la régionalisation de l’immigration, continue Mme Lopez. Nous avons fait venir des gens ici avec un emploi en main. Nous avons facilité l’intégration de 580 personnes avec un taux de rétention de 85 % en l’espace de dix ans. Les gens vivent dans la prospérité, achètent des maisons, ils sont bien. Ils occupent des emplois qui varient entre 40 000 $ et 80 000 $. L’argent que nous recevions du gouvernement n’était pas une dépense, mais un investissement.»

Selon Mme Lopez, seulement 5 % du fonds de 340 millions $ versé annuellement par le gouvernement fédéral dans le cadre de l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration descend aux organismes sur le terrain.

«Nous n’avons aucune idée de ce qu’ils font avec le reste du montant. C’est très questionnable quand on voit que la francisation et l’intégration sociale des immigrants sont en péril», a-t-elle déploré.

Son organisation a pu survivre jusqu’ici grâce à une réserve dans les coffres, mais celui-ci est vide depuis mars dernier. La situation est à ce point précaire que l’organisme suspendra ses activités pendant tout le mois de juillet et pourrait mettre définitivement les clés dans la porte si aucune solution n’est trouvée.  

Un service unique

Mme Lopez est d’avis qu’aucune organisation ne peut s’improviser en régionalisation de l’immigration. «Tu ne peux pas faire venir un immigrant et ne pas savoir l’accompagner. Il y a le contexte religieux, culturel et racial. Il y a beaucoup de gens qui ont besoin d’accompagnement adapté et malheureusement, je suis toute seule à l’offrir maintenant», a-t-elle dit.

Selon elle, il faut éviter d’importer les problèmes vécus dans la région de Montréal avec les immigrants. «Le gouvernement a dans l’idée qu’ils vont s’intégrer via Internet avant même d’arriver ici. Désolée, mais on ne s’intègre pas de cette façon. Nous pouvons être très cultivés et scolarisés, mais nous n’avons aucun point de repère quand nous débarquons de l’avion. Nous avons besoin d’une structure qui nous guide», a-t-elle martelé.

Main-d’œuvre spécialisée

Selon la directrice générale d’Intégration communautaire des immigrants, la régionalisation est un moteur économique important. «Nous ne faisons pas venir les immigrants parce que le paysage est beau ou parce qu’on aime cela. Les employeurs ont besoin de main-d’œuvre qu’ils ne sont pas capables d’obtenir ici», a-t-elle fait valoir.

Il faut savoir que l’organisme offre ses services gratuitement auprès des employeurs et des immigrants. «Nous avons fait des démarches afin de savoir si les entreprises accepteraient de travailler avec nous dans une formule utilisateur-payeur, mais elles ne sont pas prêtes pour cela. Elles sont habituées d’avoir accès à des services de qualité gratuitement et ça ne les intéresse pas», a-t-elle insisté.

À ce jour, son conseil d’administration n’a pas encore trouvé de pistes de solution pour éviter la fermeture définitive. «Nous avons pensé mettre en place un projet d’autofinancement, mais puisque nous avons dépensé notre surplus, se lancer dans autre chose c’est trop risqué et ambitieux. De plus, je suis toute seule ici. Nous sommes sur le respirateur artificiel», a-t-elle conclu.

Réaction politique

Le député de Lotbinière-Frontenac, Laurent Lessard, n’était pas disponible pour répondre à nos questions. À son bureau de comté, l’attaché politique Jean-Philip Gagné a fait savoir qu’il a été interpellé dans ce dossier il y a environ un an. L’organisme voulait alors savoir de quelle façon M. Lessard pouvait l’accompagner.

Selon lui, Mme Lopez était au courant à ce moment-là que la direction régionale d’Emploi-Québec avait décidé de ne pas reconduire l’entente de service et de prendre en charge le mandat qui lui avait été confié. «Je sais qu’il y a eu des communications dès octobre ou novembre 2013 afin de valider des informations et obtenir certains compléments dans le cadre du suivi de l’entente de service avec l’organisme. Par contre, j’ignore à quoi est reliée la diminution du financement», a-t-il mentionné.

M. Gagné dit comprendre la réalité financière de l’organisme et espère que les services puissent continuer à être offerts dans la région. «L’entente avec Emploi-Québec s’est terminée l’an passé et les mises à pied ont eu lieu. Si l’impact se fait ressentir aujourd’hui, il faut que quelqu’un lève le drapeau et nous le dise. Je ne reçois pas un état de situation du ministère», a-t-il dit.

Ce dernier assure qu’il y aura un suivi dans ce dossier. «J’attends un retour afin de savoir pourquoi l’organisme se retrouve dans cette situation et qu’est-ce que l’on peut faire pour la suite des choses.»