Des sentinelles pour repérer les personnes en détresse

Dans le cadre de la Semaine de prévention du suicide qui se passe du 4 au 10 février, le Centre intégré de santé et de services sociaux et la Fédération de l’Union des producteurs agricoles de Chaudière-Appalaches ont décidé de s’allier afin de contrer la détresse psychologique en agriculture. L’objectif est de sensibiliser les gens à l’importance de demander de l’aide, ainsi que de parler du réseau de sentinelles.

Ces dernières existent depuis 2000 environ. Elles sont outillées dans le but de repérer les personnes qui ne vont pas bien et qui sont à risque de se suicider afin de les diriger vers l’aide dont elles ont besoin.

«Nous sélectionnons les lieux où on recrute les sentinelles à partir des profils de population les plus vulnérables. Les hommes constituent 75 % des victimes du suicide, donc on va beaucoup travailler à recruter dans les milieux de travail à majorité masculine. On en a formé aux Industries Fournier, à la Boulangerie St-Méthode, chez Canatal, CIF Metal, Castech et compagnie», souligne Denise Deshaye, travailleuse sociale et responsable du dossier de la prévention du suicide et de la promotion de la santé mentale au CLSC de Thetford Mines.

Ces sentinelles sont des travailleurs qui acceptent de s’engager volontairement dans ce processus. Des formations sont notamment dispensées pour leur donner les outils nécessaires.

Une question de fierté

La recherche sur la détresse psychologique a démontré qu’elle est plus présente dans le domaine de l’agriculture que dans la population en général. Les hommes sont aussi les personnes les plus à risque.

«Ils ont comme valeur d’être autonomes, de se débrouiller seuls et surtout de ne pas être faibles. Il y en a pour qui c’est très souffrant de perdre la face ou d’être en position d’échec. Je me souviens d’un homme qui m’a raconté avoir fait deux graves dépressions et sa fierté c’était de me dire qu’il n’y a personne qui s’en est aperçu dans son entourage. On se sauve la face, mais à quel prix», se questionne Mme Deshaye.

«Le facteur le plus important dans la prévention du suicide, c’est d’avoir des liens de qualité» – Denise Deshaye

Elle précise que lorsque l’on constate que quelqu’un de son entourage ne va pas bien et qu’on ne sait pas quoi faire, la ligne 1-866-APPELLE (1 866 277-3553) est une bonne ressource puisqu’une personne suicidaire ou un proche obtiendra de l’aide d’un intervenant formé spécifiquement en intervention de crise. De plus, les intervenants d’urgence de la région collaborent entre eux afin de faire en sorte que les cas de détresse ne tombent pas entre deux chaises.

Témoignage d’une sentinelle

Ayant vécu il y a quelques années la perte d’un client pour cause de suicide, il était tout naturel pour Martin Savoie de s’impliquer afin de devenir sentinelle pour être mieux outillé face à la détresse des autres.

Travaillant au développement des affaires pour Agri-Marché, il avait en 2009 parmi ses clients un couple dans la mi-quarantaine, parents de deux enfants. Après avoir réalisé leur rêve de posséder une entreprise porcine, tout cela est vite viré au cauchemar en raison de la baisse du prix du porc. La pression s’est installée dans leur couple et ils ont fini par se séparer, alors l’homme s’est retrouvé seul à faire fonctionner la ferme. La communication avec ses enfants et son ex-conjointe était très difficile.

«Il n’allait pas bien, je le voyais. Je discutais avec lui et je l’avais même invité à la maison durant le temps des Fêtes parce qu’il était seul. J’ai fait de mon mieux, mais je manquais de ressources. Je suis technologue agricole et pas psychologue. Malheureusement, le pire est arrivé, il s’est suicidé», explique Martin Savoie.

Martin Savoie est devenu sentinelle il y a quelques années après s’être senti impuissant devant la souffrance d’un client qui a fini par se suicider.

Ce dernier est devenu sentinelle pour l’Union des producteurs agricoles (UPA) quelque temps après cet événement. «Compte tenu de ce qui m’était arrivé et que je donne des conférences dans le domaine du développement personnel, c’était tout naturel pour moi de faire partie du programme des sentinelles en collaboration avec l’UPA. Je me disais que j’allais avoir les ressources pour répondre à d’autres situations du genre.»

Selon M. Savoie, il existe un réel besoin de support dans son domaine. «J’ai lu sur le sujet et une recherche dit que plus de 50 % des producteurs vivent une détresse psychologique de grande à avancée. Ils subissent de plus en plus de pression sociale due à leur travail qui est sept jours sur sept. Ce n’est pas un milieu facile. Par exemple, en production porcine, on a vu une entreprise sur trois faire faillite entre 2008 et 2013. J’en côtoie encore aujourd’hui, des gens qui s’en sortent, mais qui trouvent cela difficile.»

Il avoue que ce n’est pas évident parfois de faire parler les gens, mais qu’à la longue, un lien de confiance s’est bâti avec sa clientèle. «Il ne faut pas avoir peur de questionner. Quand on voit l’ouverture, il faut prendre les devants. Comme cela, on peut les envoyer vers l’aide dont ils ont besoin. C’est vrai qu’il y a un événement triste que j’ai vécu, mais il y en a trois ou quatre autres qui se sont bien terminés», conclut Martin Savoie.

Peu importe dans le domaine que vous évoluez, que vous soyez un homme ou une femme, la ligne 1-866-APPELLE (1 866 277-3553) est là pour vous si vous avez besoin d’aide ou si une personne de votre entourage semble en détresse.