Le droit de l’immigration : un domaine rempli de défis
Le recrutement à l’international est devenu un incontournable pour plusieurs entreprises face à leur développement et à la pénurie de main-d’œuvre. Ayant elle-même été témoin du labyrinthe administratif que représente ce type de démarche pour un employeur et le manque de ressources en accompagnement dans la région, Me Krishna Gagné a lancé en 2019 à Thetford Mines sa propre pratique en droit de l’immigration. Aujourd’hui, elle dessert une large clientèle locale, mais aussi à travers toute la province.
Originaire de Québec, Krishna Gagné a complété un baccalauréat en droit civil à l’Université Laval. Elle s’est par la suite dirigée en common law à l’Université de Montréal et y a également obtenu une maîtrise en droit international. Dans le cadre de la réalisation de son barreau du Québec, elle a eu l’occasion d’effectuer un stage au Tribunal pénal international pour le Rwanda en Tanzanie. Elle a travaillé dans un cabinet spécialisé en fraude internationale aux Îles Vierges britanniques pendant presque deux ans avant de vivre au Cameroun durant cinq ans. À son retour au Québec en 2012, la recherche d’emploi l’a menée à Thetford Mines où elle a exercé dans un cabinet en droit familial, de la jeunesse et en litige. Elle est ensuite passée chez DSD International comme directrice juridique pendant presque deux ans.
« J’étais au cœur de l’entreprise et c’est là que j’ai découvert qu’il y avait une importante pénurie de main-d’œuvre. Je voyais les difficultés de recrutement, notamment à l’international. Je me suis dit que ce serait peut-être une lignée pour moi à développer. Le droit de l’immigration venait regrouper l’ensemble de ce que j’avais fait jusque-là. Je voyais cela aussi comme un domaine d’avenir », explique l’avocate.
Ne sachant pas au départ comment elle allait orienter sa pratique et ayant l’impression de se lancer un peu dans le vide, Me Gagné y a longuement réfléchi avant de faire le grand saut. « Je suis allée chercher le soutien de l’Espace entrepreneuriat région de Thetford (E2RT) et j’ai aussi reçu du coaching. En parallèle, je n’avais pas tellement de connaissances en droit de l’immigration puisque ce n’est pas quelque chose que nous apprenons à l’université. Nous avons les grandes lignes, mais pas les détails », raconte celle qui est appuyée par quatre techniciens juridiques.
UNE CLIENTÈLE VARIÉE
La clientèle de la pratique provient évidemment de la région de Thetford, mais également du reste de la Chaudière-Appalaches, du Centre-du-Québec ainsi que de toute la province. Ce sont surtout des usines qui emploient plus d’une centaine de personnes et qui sont directement touchées par la pénurie de main-d’œuvre. Certains clients n’ont aussi que quelques employés et se retrouvent devant un besoin qu’ils n’ont jamais eu auparavant.
« Nous ne nous occupons pas du recrutement. Nous expliquons la procédure à suivre et nous prenons le dossier en main dès que le travailleur est embauché. Nous œuvrons pour que les gens puissent venir ici, parfois avec leur famille. Quand ils se qualifient pour la résidence, nous faisons les démarches pour qu’ils deviennent résidents permanents et ça peut aller jusqu’à la citoyenneté. »
Parmi les différentes nationalités faisant partie de ce recrutement, on retrouve beaucoup de Colombiens, Mexicains, Tunisiens, Philippins, Sénégalais et Français. « C’est vraiment de partout. Dans notre région, il y a aussi plusieurs Camerounais », précise l’avocate.
DÉFIS
Selon Me Gagné, le droit de l’immigration est souvent un véritable labyrinthe. « Je peux comprendre les clients qui s’y perdent. J’ai moi-même eu une énorme marche à monter afin de développer le côté technique. »
Parmi les difficultés, les changements dans les politiques et les règles qui obligent à constamment être à l’affût. « L’un des plus grands défis est qu’il n’y a pas vraiment d’information centralisée, c’est très disparate. Nous avons aussi deux paliers de gouvernement qui souvent ne se parlent pas et qui ont parfois des règles contradictoires. Nous naviguons fréquemment en eaux troubles. »
Le programme qui est actuellement utilisé, soit celui des travailleurs étrangers temporaires, n’a pas été conçu pour la pénurie de main-d’œuvre, souligne Me Gagné. « C’est la seule plateforme disponible pour faire venir des personnes à plus long terme. Il faut toutefois respecter les critères et démontrer que les gens vont quitter le Canada à la fin de leur séjour. Dans les faits, ils viennent majoritairement ici pour y rester. Il faut jongler au travers des limitations du programme. »
Certaines politiques ont été mises en place durant la pandémie afin de faciliter les démarches, mais en général, le système est constamment en réactivité. « Nous avons un monstre bureaucratique qui est difficile à changer. Il y a parfois des modifications, mais elles peuvent être à l’avantage de certains et au préjudice des autres. »
Comme vice-présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration, Krishna Gagné occupe un siège particulier sur ces questions, notamment auprès des services gouvernementaux, afin de se tenir informée. Du côté de la pénurie de main-d’œuvre, celle-ci ne devrait pas s’estomper avant plusieurs années, soutient l’avocate. « De ce que j’entends, nous ne nous sortirons pas la tête de l’eau avant 2042. »