« Nous voulions venir au Québec pour parler le français et commencer une nouvelle vie »

Une famille de réfugiés ukrainiens est arrivée dans la ­MRC des Appalaches le 28 avril dernier. Henry, 28 ans, ­Marina, 22 ans, et leur petite ­Henrietta, 4 ans, ont été accueillis par Sarah ­Lebasch et son conjoint ­Kevin D’Amilo, deux résidents d’Irlande. Le Courrier Frontenac a eu l’occasion de les rencontrer afin d’obtenir leur témoignage sur ce qu’ils ont vécu en ­Ukraine.

Lorsque l’invasion russe a été déclenchée, le 24 février dernier, la petite famille vivait à ­Irpin, une ville située à environ dix kilomètres de la capitale ­Kyïv qui fut l’un des premiers endroits à être bombardé. « J’étais au lit, puis vers 5 h du matin, j’ai entendu les premières bombes exploser. Je suis allé sur ­Instagram afin de savoir ce qu’il se passait et je n’en revenais pas. Marina se trouvait quant à elle chez sa famille à ­Dnipro pour célébrer la fête d’Henrietta. Les alarmes retentissaient toutes les cinq minutes afin de nous avertir d’un danger imminent. Je ne savais pas quoi faire ni où aller. Un moment donné, nous avons reçu une notification du gouvernement nous disant de quitter l’Ukraine puisque la ­Russie nous attaquait », a raconté ­Henry.

Ce fut pour lui un moment très angoissant, d’autant plus que ­Marina est enceinte et qu’elle se trouvait désormais seule avec Henrietta. « Chaque fois qu’il y avait des bombardements, je devais descendre dans un bunker ou dans le métro pour m’y réfugier. C’était terrifiant. J’ai dû y passer environ trois nuits. Je dormais au sol et il faisait très froid. »

Pendant ce temps, ­Marina et leur petite ­Henrietta ont dû faire comme la plupart des ­Ukrainiens et se déplacer en train vers l’ouest du pays pour se mettre en sécurité. Il s’est écoulé une semaine avant que la famille puisse enfin se retrouver. « Ce fut la semaine la plus angoissante de toute ma vie. Les soldats russes tuaient tous ceux qu’ils voyaient dans la rue et je n’étais pas là pour les protéger. Nous avons décidé de tout quitter et d’abandonner nos affaires en ­Ukraine, car cela devenait trop dangereux. »

Henry a expliqué avoir quitté ­Irpin avec un ami à bord d’un convoi de cinq voitures en direction de ­Lutsk qui se trouve à 40 minutes de la ­Pologne. « Cela nous a pris deux ou trois jours pour nous y rendre, au lieu de 12 heures normalement, parce que l’armée russe avait détruit la majeure partie des routes et des autoroutes afin de bloquer notre armée et couper l’approvisionnement en armes vers l’ouest. Nous avons été obligés de traverser la forêt pour finalement arriver à destination. »

Il s’est alors assuré que l’endroit soit sécuritaire avant de demander à ­Marina et Henrietta, qui se trouvaient dans une station de métro depuis cinq jours, de venir le rejoindre. « Nous avions convenu qu’elles devaient tout risquer et prendre un train de Dnipro jusqu’à ­Lviv. Elles ont été obligées de se battre pour monter à bord puisque tout le monde voulait quitter l’Ukraine. Le voyage a duré 25 heures. Elles ont ensuite pris un taxi jusqu’à ­Lutsk. Je me souviens encore lorsqu’elles sont arrivées, ma fille m’a dit que les gens l’avaient tellement poussée dans le train qu’elle avait eu peur. Je me suis mis à pleurer parce que je n’étais pas là pour les protéger », ­a-t-il confié.

Maintenant réunie, la petite famille s’est dirigée vers la ­Pologne, mais voyant la frontière congestionnée en raison du nombre élevé d’Ukrainiens tentant de la traverser, ils ont plutôt opté pour celle de la ­Roumanie. « Nous avons dû prendre un petit autobus jusqu’à la ville de ­Chernivtsi. Nous avions oublié qu’il y a la loi martiale ­là-bas et que personne ne peut se trouver à l’extérieur après 22 h. Nous sommes arrivés exactement à cette ­heure-là et nous n’avions aucun endroit où aller. Nous avons eu la chance de trouver une auberge pour dormir à la gare routière. Le lendemain matin, nous avons pris un autre autobus pour la ­Roumanie. »

Après avoir traversé plusieurs villes, c’est à ­Braşov qu’Henry et ­Marina ont commencé à penser que la ­Roumanie n’était pas une si bonne idée pour s’y réfugier. « Pendant tout ce temps, je n’avais pas de salaire. Nous avons pu obtenir de l’information sur le programme canadien pour les Ukrainiens et leur famille. Nous avons prié tous les jours pour que le ­Canada nous accorde un visa et lorsque nous l’avons obtenu, nous sommes partis une semaine plus tard. »

C’est en effectuant des recherches sur le site ukrainetakeshelter.com que le couple a pu entrer en contact avec ­Sarah ­Lebasch. « Nous voulions venir au ­Québec pour parler le français et commencer une nouvelle vie. On nous avait dit que votre province était sécuritaire et que les gens étaient très gentils, surtout si l’on considère que nous sommes une famille de couleur. Nous avons eu la chance d’obtenir une réponse de la part de ­Sarah. Elle a été un ange pour nous. Elle nous a aidés à traverser nos difficultés. Nous sommes heureux d’être ici et nous espérons que les Québécois nous accepteront. Nous sommes une famille agréable et sympathique. »

Ce départ demeure toutefois très douloureux puisque leur famille est toujours ­là-bas. Le père de Marina est d’ailleurs en train de combattre avec l’armée ukrainienne et elle n’a pas de nouvelles depuis. Elle ignore si elle le reverra un jour.

Tournés vers l’avenir

Originaire du ­Nigeria, ­Henry exploite en ­Ukraine et en ­Afrique sa propre entreprise dans le secteur des technologies de l’informatique. En raison de ses obligations professionnelles, il devra retourner temporairement en ­Europe après l’accouchement de ­Marina. « Je ne suis pas content de partir et j’aimerais ne pas avoir à le faire, mais je crois que ma famille sera en sécurité. C’est ma priorité. Dès que j’aurai terminé ­là-bas, j’ai l’intention de m’installer ici en espérant pouvoir démarrer mon entreprise. Ma femme est esthéticienne et elle était la meilleure d’Irpin. Nous aimerions pouvoir ouvrir un salon de beauté et offrir aux ­Québécois un ­avant-goût de la mode et des styles ukrainiens qui sont si particuliers. »

Henry se dit cependant rassuré que l’organisme ­Intégration communautaire des immigrants de Thetford ­Mines puisse les accompagner dans la recherche éventuelle d’un endroit pour habiter. « Je prévois être de retour au ­Canada en juillet et si tout se passe bien, ­peut-être avoir une maison à nous. Sinon, nous savons que nous pouvons rester chez ­Sarah. J’espère qu’à mon retour nous pourrons démarrer une nouvelle vie et une entreprise familiale ici. »

Pour le moment, nul ne pourrait prédire combien de temps durera la guerre. En attendant, ­Henry et ­Marina concentreront leurs énergies à offrir un bel avenir à leurs enfants. « Le gouvernement canadien nous a accordé un permis de séjour et de travail temporaire de trois ans. Je comprends l’instabilité mondiale, mais déménager de pays en pays pourrait avoir un effet très négatif sur eux. C’est pourquoi j’espère vraiment qu’il le prolongera et qu’il nous permettra de vivre ici. Je suis le genre de personne qui planifie et qui pense à l’avenir, mais actuellement nos plans sont limités à trois ans, car nous ne savons pas ce qu’il arrivera lorsque notre permis expirera », ­a-t-il conclu.