Une information régionale à sauvegarder
Au cours des dernières années, de nombreux médias locaux et régionaux ont vu leurs effectifs réduits ou ont tout simplement fermé leurs portes. L’information au grand public y est de plus en plus centralisée et la disparition des journaux, radios et télévisions dans les plus petites communautés peut avoir des impacts qui dépassent largement le milieu journalistique.
Dans son premier essai «Extinction de voix – Plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale», la journaliste Marie-Ève Martel de La Voix de l’Est documente cette réalité et tente d’offrir des pistes de solution. Elle était de passage à la Télévision communautaire de la région des Appalaches (TVCRA), le vendredi 26 avril, afin de participer au tournage de l’émission Lecture & cie et elle a accepté d’échanger sur le sujet avec la presse locale.
Contrôle du message
Lors de cette rencontre, il a d’abord été question du contrôle du message qui est de plus en plus pratiqué par des Municipalités ou autres organisations publiques. «Les Villes gèrent leur image comme une entreprise maintenant. Leurs produits, ce sont les services et la qualité de vie des citoyens, et c’est une image de marque qu’il faut protéger. De plus, certains élus pensent qu’ils n’ont plus à passer par les médias pour parler à la population puisqu’ils ont Facebook et leur bulletin municipal», constate la journaliste.
Elle estime que le travail des journalistes est essentiel à la démocratie. «Le rôle d’une Ville est de communiquer l’information de façon transparente au bénéfice des citoyens, mais ce que l’on voit aujourd’hui, c’est pour avantager l’administration publique et donner une belle image aux élus. Le filtre journalistique, ça vient parfois rendre les coins un peu moins ronds. Cela vient remettre certaines choses en perspective. Si l’on présente juste la moitié d’une information, l’opinion du lecteur va peut-être changer si nous lui apportons un complément. Les gens ont doit d’avoir accès à une information de qualité», plaide Mme Martel.
Les géants du Web
L’arrivée des géants du Web tel que Google, Apple, Amazon et Facebook a fait et continue de faire mal aux médias, principalement sur le plan financier. Les gouvernements, organisations municipales et entreprises dépensent énormément d’argent sur ces plateformes en publicités, et ce, au détriment des journaux papier, des radios et des télévisions.
«Même les commerçants locaux disent aux gens de ne pas acheter sur Amazon ou sur Ebay, mais ce même marchand va annoncer sur Facebook alors que son journal, sa radio et sa télévision sont des employeurs qui engendrent des retombées économiques locales. Il y a un double discours, les gens ne semblent pas s’en rendre compte et il faut que celui-ci prenne fin. Ça coûte effectivement moins cher annoncer sur Facebook, mais je pense que c’est une question idéologique d’investir dans un média», affirme Marie-Ève Martel.
«Si nous reconnaissons collectivement que l’information est un bien public, à ce moment-là tout le monde doit mettre quelque chose en œuvre pour l’appuyer et soutenir financièrement sa production» – Marie-Ève Martel
Modèle d’affaires à redéfinir
Selon la journaliste, le modèle d’affaires des médias écrits, entre autres, ne fonctionne plus et doit être redéfini. «Il faut que les gens comprennent que l’information, même si nous y avons accès gratuitement, ne l’est pas à produire. Il y a le travail du journaliste, la recherche, les déplacements et tous les autres frais rattachés. Le fait que les médias eux-mêmes aient mis cette information gratuite enlève la notion qu’elle a une valeur financière, mais aussi du point de vue démocratique. Alors, je pense qu’il doit y avoir un travail d’éducation.»
De plus, elle estime que le gouvernement fédéral doit mettre ses culottes et prélever la TPS sur les plateformes comme Netflix et Facebook. «Il devrait peut-être exigé en vertu de la Loi sur les droits d’auteurs ou autres que Facebook, par exemple, qui bénéficie de beaucoup d’achalandage et de vente de publicités grâce aux contenus des journalistes, puisse verser une redevance. Pourquoi nous enrichissons ce géant avec ce que nous produisons et n’obtenons absolument rien là-dessus?», déplore l’auteure.
La fin de l’obligation pour les Municipalités de publier leurs avis publics dans les journaux a également causé d’importantes pertes de revenus. «Les élus disent que les gens vont aller sur leur site Web, mais qui va volontairement consulter un avis public à cet endroit? C’est peut-être une fraction de gens. La plupart en prenaient connaissance en feuilletant leur hebdomadaire. De plus, c’était un revenu très important pour les médias. Des fois, cela représentait le salaire d’un ou deux journalistes, alors que pour une Ville, ce n’est même pas 1 % de son budget», exprime Mme Martel.
Sentiment d’appartenance
Avec son livre, la journaliste dit avoir voulu lancer un cri d’alarme pour conscientiser les gens avant qu’il ne soit trop tard. «Souvent, quand les médias disparaissent dans les régions, plusieurs tombent des nues. Ils n’auraient jamais pensé que des hebdos qui ont plus de 100 ans au Québec fermeraient. Ils savent que nous sommes là, mais ils n’ont pas la même notion d’urgence. Sans nous, comment seraient les choses? Les médias nationaux, lorsqu’ils parlent des régions, c’est parce que ça va mal. Les bonnes nouvelles ne sont pas assez grosses. Sans les médias locaux et régionaux, il y a vraiment un risque de perdre de l’information.»
Lorsque TC Media (ancien propriétaire du Courrier Frontenac) a mis ses hebdos en vente, il y a deux ans, cela a créé une onde de choc, aux dires de Marie-Ève Martel, à tel point que plusieurs régions auraient pu perdre leur média de proximité. «Ce qui est beau là-dedans, c’est que ce sont des communautés locales qui ont repris le contrôle pour la plupart. Icimédias est un grand groupe qui en a acquis un peu partout au Québec, mais dans la majorité des cas, ce sont 1, 2 ou 3 journaux qui ont été rachetés par des intérêts locaux. Je pense que cela a donné un petit regain.»
Ceux-ci ne sont toutefois pas sortis d’affaires pour autant. «Si nous laissons le modèle actuel tel quel, si nous ne forçons pas d’une quelconque façon ces grands joueurs américains à donner une redevance ou si nous ne réussissons pas à trouver une façon de se passer de publicités, ça va être difficile. Je suis convaincue qu’il y aura encore des fermetures dans les années à venir, tant et aussi longtemps que nous n’essayons pas de stopper l’hémorragie. Il faut démontrer de l’amour à nos médias, c’est la clé», conclut Marie-Ève Martel.