Une victoire pour les victimes
Le Protecteur du citoyen recommande l’abolition de la prescription dans certains recours civils
Le Protecteur du citoyen a déposé le mardi 19 décembre un rapport recommandant l’abolition de toute prescription pour les recours civils en cas d’agression sexuelle, de violence subie durant l’enfance ou de violence d’un conjoint ou d’un ex-conjoint. Pour les victimes, il s’agit d’une victoire dans une guerre qui n’est toujours pas terminée.
«S’il est un domaine où le facteur temps doit être aboli, c’est bien dans ce contexte précis où la souffrance s’étale dans le temps et fige souvent la capacité de rebond, soutient Marie Rinfret, protectrice du citoyen. C’est pourquoi nos mécanismes de justice doivent envoyer un message clair qui affirme que les agressions sexuelles, la violence conjugale et la violence à l’endroit des enfants sont inacceptables et que les victimes peuvent être entendues, quel que soit le moment où elles exercent les recours qui s’offrent à elles.»
Rappelons que le Québec et l’Île-du-Prince-Édouard sont les deux seules provinces canadiennes où une limite de temps existe afin d’intenter une action en cours civile pour ces types de crimes. La loi a été modifiée de trois à 30 ans en 2013, mais elle n’est toutefois pas rétroactive, ce qui signifie qu’une victime ayant subi un préjudice avant 2013 n’a pratiquement plus aucun recours au civil. Notons qu’en cour criminelle, il n’existe aucun délai de prescription.
Soulignons qu’une plainte à cet effet d’un résident de Saint-Joseph-de-Coleraine, soit Pierre Bolduc, est à l’origine de la décision du bureau du Protecteur du citoyen de se pencher sur le sujet. L’homme d’une soixantaine d’années a été victime, à l’âge de 12 ans, de sévices sexuels de la part d’un prêtre aujourd’hui décédé.
«Je suis vraiment content. C’est une très grande victoire. Ils brisent la vie d’enfants et de personnes vulnérables, c’est une loi complètement stupide. D’ailleurs, dans son avis, le Protecteur du citoyen défait tous les arguments contre l’abolition que plusieurs pourraient amener», mentionne Pierre Bolduc.
Jusqu’à maintenant, il déplore qu’il n’y ait pas eu beaucoup d’ouverture de la part du gouvernement afin de régler la situation. «Je ne comprends pas pourquoi le ministère s’entête à ne rien faire. De qui ont-ils peur», se questionne-t-il.
Dans la cour du ministère de la Justice
Rejointe par le Courrier Frontenac, Isabelle Marier St-Onge, attachée de presse au Cabinet de la ministre de la Justice et Procureure générale, Stéphanie Vallée, a signifié qu’ils venaient de recevoir le rapport du Protecteur du citoyen.
«Par sa conclusion phare, il remet en question l’un des principes fondamentaux du droit civil québécois, savoir la prescription des recours. Nous procéderons à une analyse rigoureuse du rapport», a-t-elle répondu.
«Nous sommes ouverts à toute proposition que pourrait nous faire le ministère de la Justice pour permettre le libre accès aux recours civils à toutes les victimes d’agression sexuelle, de violence subie durant l’enfance ou de violence d’un conjoint ou d’un ex-conjoint» – Marie Rinfret
Dans ses conclusions, le Protecteur du citoyen demande au ministère de la Justice de lui faire parvenir, au plus tard le 1er mars 2018, un plan de travail pour le suivi des recommandations du présent avis et de lui faire état de l’avancement de ce plan au 22 juin 2018, puis selon un échéancier à convenir.
Bien qu’il n’y a pas de réelle obligation pour le ministère de faire un suivi, il a cependant tout intérêt à le faire. «Je suis désignée par l’Assemblée nationale et à cet égard j’ai comme mandat de veiller au respect des droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration publique. Nous faisons des enquêtes à la suite de plaintes ou de notre propre initiative. Lorsqu’on fait des constats comme dans ce cas-ci, nous faisons des recommandations et par la suite, j’en fais état dans le rapport annuel d’activités. Notre équipe s’assure que le ministère concerné y apporte un suivi satisfaisant. Je suis assez convaincue que le ministère de la Justice sera sensible au constat dans l’avis et à la finalité des recommandations», précise Mme Rinfret.
Cette dernière croit également que l’abolition de la prescription pourrait aider l’administration de la justice. «Abolir la prescription va éviter aux auteurs des actes de se défiler derrière l’écoulement du temps et va aussi les pousser à s’asseoir avec les personnes voulant obtenir réparation du préjudice afin de convenir d’un règlement.»
Le rapport complet est disponible en ligne au protecteurducitoyen.qc.ca.