Vingt ans plus tard, les Québécois se souviennent de la crise du verglas

Par La Presse Canadienne

La pluie verglaçante tombait déjà depuis quatre jours lorsque Normand Chaput a quitté sa maison de Saint-Hyacinthe, le 9 janvier 1998.

Pendant cette crise, le monteur de lignes d’Hydro-Québec commençait chaque journée en comptant combien de poteaux électriques étaient tombés pendant la nuit.

Ce matin-là, aucun n’avait survécu.

«Il ne restait rien. Tous les poteaux étaient tombés, tout était tombé», s’est-il souvenu en entrevue téléphonique.

Même les pylônes électriques ont cédé sous le poids des quelque 100 millimètres de pluie verglaçante qui avaient tout glacé.

«C’était quelque chose d’inimaginable pour un monteur de lignes, d’imaginer que des tours puissent s’effondrer comme des châteaux de cartes», a-t-il soutenu.

Il y a vingt ans, près de cinq millions de Québécois, d’Ontariens et de résidants des provinces maritimes ont été touchés par trois vagues successives de pluie verglaçante entre le 5 et le 10 janvier.

Le verglas a couvert ces territoires de glace et a provoqué des pannes de courant qui ont duré plus de 30 jours dans certaines régions.

Pendant des semaines, M. Chaput et ses collègues ont travaillé 16 heures par jour, se concentrant d’abord à dégager les routes et à aider les conducteurs pris sur celles-ci. Ils se sont ensuite affairés sur le réseau électrique.

Après plus d’une semaine à travailler dans la noirceur, il s’est souvenu de s’être rendu à Montréal pour visiter sa famille et d’avoir été sous le choc d’apercevoir l’éclat des lumières de la ville.

«Tous tes points de références ne sont plus là, tes habitudes non plus, et rien n’est normal», a-t-il expliqué.

Tim Petch, responsable d’un verger à Hemmingford, se souvient du son que faisaient les branches gelées qui tombaient des pommiers sur le sol glacé.

«C’était comme du verre qui tombait sur un sol de marbre», a-t-il illustré.

La plupart de ses arbres ont perdu jusqu’à 40 pour cent de leurs branches. Il lui a fallu des mois pour nettoyer après la crise.

M. Petch, qui a perdu l’électricité dans sa maison pendant 29 jours, a relaté qu’il devait aller surveiller constamment son tracteur activé par une génératrice prêté par le syndicat agricole qui servait à s’assurer que ses fruits ne pourrissent pas.

Mais il se souvient surtout de la solidarité dont a fait preuve sa communauté, qui s’est rassemblée pour collecter du bois de chauffage, trouver des génératrices et veiller sur les résidants.

«Leadership exceptionnel»

Une autre personne qui se souvient particulièrement de cette crise est Steve Flanagan, qui a accordé plus de 300 entrevues dans les médias en tant que porte-parole d’Hydro-Québec à l’époque.

La société d’État voulait être aussi franche que possible avec les Québécois, qui craignaient pour leur sécurité et leurs biens.

«Le mieux qu’on pouvait faire, du point de vue d’Hydro-Québec, c’était vraiment de dire exactement ce qui se passait sur le terrain, puis ce qu’on était capable de faire, puis, surtout, ce qu’on n’était pas capable de faire pendant la journée», a-t-il confié en entrevue téléphonique.

Mis à part certaines périodes difficiles — dont ce moment critique où il n’y avait qu’une seule ligne électrique qui alimentait tout le centre-ville de Montréal — M. Flanagan a souligné le «leadership exceptionnel» de l’ancien premier ministre Lucien Bouchard et du président d’Hydro-Québec à l’époque, André Caillé, qui selon lui ont évité une crise d’autant plus importante.

La tempête s’est malgré tout avérée un désastre, causant des dégâts estimés à 3 milliards $.

Au moins 30 décès ont été attribués à la crise, et l’armée canadienne avait été appelée en renfort pour aider dans les jours suivant la tempête.

Meilleure gestion de nos jours?

Les autorités croient que la crise serait mieux gérée si la tempête arrivait aujourd’hui.

Hydro-Québec dit avoir pris plusieurs mesures pour améliorer le réseau électrique dans la foulée de la tempête, notamment en renforçant les installations, ainsi qu’en ajoutant de nouvelles lignes et de nouveaux chemins pour multiplier les sources de courant.

La Croix-Rouge, qui avait établi environ 300 refuges et fourni de l’aide pendant la tempête, a aussi appris de la crise, selon la directrice de la gouvernance de l’organisme.

Josée Payant, qui coordonnait les opérations d’urgence majeures au Québec en 1998, a indiqué que la Croix-Rouge avait depuis signé des ententes avec différents niveaux de gouvernement pour gérer les services d’urgence et s’assurer que leurs responsabilités respectives soient bien définies.

La technologie a aussi amélioré la coordination et il y a maintenant un meilleur programme national de formation pour les bénévoles, a-t-elle mentionné.

«Nous sommes plus préparés, mais chaque désastre est différent et a ses propres défis», a-t-elle déclaré.

Malgré les améliorations, les villes, les entreprises et les individus ne sont pas assez préparés, selon elle.

Quelques municipalités n’ont pas encore de plan de mesures d’urgence et la plupart des familles n’entreposent pas assez de nourriture, d’eau et de provisions pour affronter 72 heures de crise.

«Nous devons travailler avec les autres partenaires pour bâtir une culture de sécurité civile. Je ne pense pas que nous y sommes encore», a-t-elle indiqué.