Des détaillants québécois pressent Ottawa d’agir contre le « commerce déloyal et dangereux »

Dans une lettre signée par 22 détaillants et organisations, le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD) exhorte le gouvernement du Canada à cesser de fermer les yeux et à agir rapidement face au « commerce déloyal et dangereux » des géants chinois de la vente en ligne, tels que Temu et Shein.

La missive s’adresse aux premiers ministres Justin Trudeau et François Legault, ainsi qu’à plusieurs ministres fédéraux et provinciaux. Les signataires affirment que ces plateformes de commerce en ligne « envahissent le marché canadien avec leurs produits à bas prix, souvent au détriment de nos commerces locaux et de nos standards de qualité, de sécurité et de respect de l’environnement ». 

Ils dénoncent le manque de régulation, soulignant que ces entreprises échappent aux mêmes normes que leurs concurrents canadiens qui, eux, doivent respecter les lois locales sur le travail, les réglementations environnementales, ainsi que les exigences en matière de santé et de sécurité. Cela permet notamment à ces plateformes de proposer des prix que peu de commerces d’ici peuvent concurrencer.

Les enjeux de surconsommation et de respect de l’environnement figurent parmi les préoccupations des signataires. La mauvaise qualité des produits vendus par ces plateformes empêche le recyclage et contribue ainsi à remplir les conteneurs à déchets des villes. Ce phénomène, appelé « fast fashion waste » [déchets liés à la mode rapide], va à l’encontre des politiques environnementales.

Les détaillants québécois déplorent également que plusieurs produits provenant de ces sites soient non-conformes aux exigences de santé et de sécurité du Canada, rendant la concurrence inéquitable et les achats dangereux pour la population. Par exemple, en ce qui a trait aux vêtements et aux jouets pour bébés, le pays légifère sur le choix des matériaux, des colorants, la qualité de confection et autres, indiquent-ils.

Selon eux, les géants chinois du commerce en ligne enfreignent également les lois canadiennes sur la propriété intellectuelle, « copiant sans vergogne les modèles de petites marques », les conséquences actuelles étant jugées insuffisantes pour les dissuader.

SOLUTIONS CONCRÈTES DEMANDÉES

Margo Setlakwe Blouin, présidente d’A. Setlakwe ltée et administratrice au CQCD, est l’une des 22 signataires de cette lettre. Elle déplore notamment qu’il existe une iniquité entre les commerçants canadiens et ces plateformes de vente en ligne. « De notre côté, nous sommes obligés de respecter les normes. C’est correct et nous sommes d’accord puisque c’est pour la santé et la sécurité de tous, mais il y a un coût à ça et nous devons afficher des prix qui sont plus chers comparativement à ces sites. C’est pourquoi nous parlons d’un commerce déloyal et que nous demandons des changements », a-t-elle précisé lors d’un entretien avec le Courrier Frontenac.

Cela fait plusieurs années que les commerçants québécois dénoncent la situation, sans toutefois percevoir de véritable écoute de la part des gouvernements sur cet enjeu qui dépasse le cadre économique selon eux. La présidente d’A. Setlakwe ltée a soutenu que le CQCD s’était donné comme mission de parler un peu plus fort par rapport à ces enjeux importants.

Mme Setlakwe Blouin se dit en faveur d’une concurrence saine forçant les commerçants à se réinventer et à s’améliorer, mais pas quand cela est au détriment de la santé des gens et de l’environnement. « Ces plateformes existent depuis plusieurs années, mais avec l’inflation et l’augmentation des coûts, nous nous rendons bien compte que les consommateurs sont portés à se tourner de plus en plus vers elles. Toutefois, cela n’a pas seulement un impact économique, mais aussi social lié à la santé de la population et à l’environnement », a-t-elle affirmé en ajoutant que d’autres pays avaient commencé à légiférer à ce sujet et qu’il est souhaitable que le Canada ne soit pas le dernier à le faire.

L’objectif de cette offensive des détaillants québécois est donc de sensibiliser les politiciens à cette situation afin que des solutions concrètes soient mises en place. Ils réclament l’application d’un système de type « bonus-malus », inspiré de la France, où « sur chaque vêtement vendu par ces plateformes, cinq euros supplémentaires sont payés par l’acheteur et réinvestis pour soutenir les entreprises textiles locales ». Par ailleurs, ils demandent un renforcement de l’encadrement législatif afin d’inclure des notions telles que l’écoconception, la durabilité et le développement durable. Ils souhaitent également l’ouverture d’une enquête sur la conformité et la légalité des pratiques de ces plateformes au regard des lois canadiennes en matière de protection des consommateurs et préciser leurs responsabilités en ce qui a trait à la sécurité. Enfin, ils réclament qu’elles soient reconnues comme des opérateurs économiques et qu’elles soient tenues juridiquement responsables de leurs produits.