Deux familles mexicaines pourraient être forcées de quitter leur nouveau foyer
Deux familles mexicaines, bien établies et intégrées à Thetford Mines, risquent d’être forcées de quitter leur nouveau foyer. Les demandes entourant le statut de réfugiées des familles Jaime Guttierez et Martinez auprès du Canada ont été refusées. Elles prévoient bientôt déposer une demande pour un dernier recours d’ordre humanitaire puisque pour elles, il est hors de question de retourner au Mexique où leurs vies seraient en danger. Le Courrier Frontenac les a rencontrées afin qu’elles puissent partager leurs histoires.
La famille Jaime Guttierez, formée des parents Isaac et Yoselin, ainsi que des enfants David (17 ans), Ximena (15 ans) et Leonel (8 ans), est arrivée au Québec il y a trois ans. Isaac possédait une entreprise dans le domaine des produits laitiers. Il a commencé à recevoir des menaces d’un cartel afin de l’obliger à remettre de l’argent au groupe criminel, mais il était impossible pour lui de répondre à cette demande. Selon Isaac, le cartel a tué son associé en représailles.
Craignant pour leurs vies et celles de leurs enfants, sa femme et lui ont décidé de fuir vers le Canada. « La sécurité de ma famille était ma priorité. La situation était devenue difficile pour nous. J’en ai discuté avec ma femme et nous avons décidé de partir », a raconté celui qui a perdu sa compagnie en laissant tout derrière.
Malgré leur départ, les menaces ont tout de même continué pour leurs proches. Un employé de l’entreprise aurait lui aussi été tué par représailles. Ceci leur laisse croire qu’ils seraient toujours en danger s’ils devaient retourner au Mexique.
Pour la famille Martinez, formée des parents David et Deysi, ainsi que des enfants Daniela (19 ans), Brandon (17 ans) et Nataly (14 ans), sa fuite vers le Canada il y a 21 mois était aussi une question de vie ou de mort. M. et Mme Martinez étaient enseignants. Les cartels recrutent souvent les jeunes à l’intérieur des établissements scolaires et c’est en tentant de protéger ses élèves que Deysi a commencé à recevoir des menaces.
« Le gouvernement et les autorités n’ont pas le contrôle sur les groupes criminels au Mexique. Ils ont menacé ma mère et mis en danger notre famille parce qu’elle voulait défendre ses élèves », a expliqué Nataly.
La famille avait prévu rendre visite à un membre de leur famille à Thetford Mines pour une courte période, mais voyant les menaces auxquelles elle faisait face, elle a décidé de rester au Canada.
« Avant notre départ, nous avons reçu à la maison une couronne de fleurs destinée à ma mère. Au Mexique, c’est une coutume d’en offrir une lorsqu’une personne décède », a soutenu Daniela, faisant référence à un signe de menace de la part du cartel.
Les familles Jaime Guttierez et Martinez ne se connaissaient pas avant d’arriver au Québec, bien qu’elles proviennent de la même ville située au centre du Mexique. La raison derrière le rejet de leurs demandes est la même : elles auraient pu se diriger vers une autre province du Mexique, où le taux de criminalité est plus faible selon des statistiques nationales. Pour les deux familles, ce n’est toutefois que de la poudre aux yeux puisque les groupes criminels exercent une influence dans tout le pays et qu’ils auraient pu les retrouver.
« Ils sont partout. Ils ont aussi des relations avec le gouvernement parce qu’il y a beaucoup de corruption. C’est facile pour eux de trouver des gens. Puis, mes parents étaient enseignants, ils travaillaient pour le gouvernement qui aurait pu savoir où ils étaient », a indiqué Daniela.
UN EXEMPLE D’INTÉGRATION
Pour l’entourage des familles Jaime Gutierrez et Martinez à Thetford Mines, notamment la communauté de la Polyvalente de Black Lake que quatre des six enfants fréquentent actuellement, il ne fait aucun doute qu’elles représentent un exemple d’intégration. Les jeunes ont créé des liens solides avec leurs camarades de classe. C’est aussi le cas des autres membres de leurs familles qui tiennent à leur nouveau milieu.
Bien que l’arrivée dans un nouveau pays avec une langue et des coutumes différentes n’est pas facile, ils sont unanimes, ils adorent leur vie au Canada et ils souhaitent y rester. « Tout le monde est très gentil. Nous avons beaucoup d’aide et nous nous sentons acceptés. Ici, nous avons la sécurité et le respect des droits des personnes. Je pense que le Canada est un pays ouvert et vraiment humain », a souligné Daniela.
Nataly a admis avoir connu des difficultés au départ, surtout en raison de la langue, mais tout le monde l’a beaucoup aidée à s’intégrer. « C’est un pays accueillant. L’adaptation, ce n’est pas seulement pour toi-même, c’est aussi avec les autres. Je me sens vraiment acceptée ici. »
Pour David Jaime Gutierrez, bien que ce n’était pas facile au début avec la barrière de la langue, il se sent à présent totalement Québécois. Même son de cloche pour sa sœur Ximena qui a ajouté que l’appui des gens à l’école l’avait beaucoup aidée.
SOUTIEN DE LEURS CAMARADES
Touchés par leurs histoires et outrés qu’elles puissent éventuellement devoir quitter le Canada, des élèves de la Polyvalente de Black Lake ont décidé de s’impliquer afin d’apporter leur soutien aux deux familles. C’est entre autres le cas d’Aurélie Plante et de Thomas Grondin qui ont lancé une pétition à l’intérieur de l’école. Ils sont aussi appuyés par des membres du personnel dans leurs démarches.
« Nous avons voulu agir pour les aider parce que ce sont nos amis et s’ils retournent dans leur pays d’origine, ils seront en danger. Nous craignons pour leur sécurité », a affirmé Aurélie.
« Nous trouvons que c’est injuste qu’ils paient pour une erreur du gouvernement canadien. Ils sont ici depuis un moment, ils se sont bien intégrés et ils ont créé des liens. Pour nous, ça ne se fait pas de les renvoyer au Mexique », a renchéri Thomas.
Les deux élèves de secondaire 5 se disent déçus du Canada. « Dans ma tête, nous étions censés être un pays idéal, une terre d’accueil avec des valeurs humanitaires et d’entraide. Ça vient me démontrer que je n’avais pas raison », a déploré Aurélie.
Selon Thomas, depuis qu’ils sont jeunes, on leur a toujours inculqué l’importance d’aider les autres. « Le gouvernement canadien démontre que ce n’est pas important pour lui. »
En terminant, Aurélie a souligné que si les Jaime Gutierrez et les Martinez sont obligés de partir, ce ne sont pas seulement deux familles qui seront déracinées, mais une communauté entière puisqu’elle représente aussi une famille.
LE DÉPUTÉ BERTHOLD TOUCHÉ PAR LEUR RÉCIT
Ne pouvant commenter les détails des démarches en cours en raison de la confidentialité des dossiers, le député de Mégantic-L’Érable, Luc Berthold, a néanmoins confirmé travailler avec les familles et leurs représentants afin de trouver une solution qui leur permettrait de rester au Canada.
Il se dit profondément choqué de ce qui leur arrive. « J’ai été touché par leur récit, qui n’a malheureusement pas suffi à convaincre le tribunal d’immigration. Ces familles sont appréciées de leur communauté d’accueil et ont créé des liens. On sait qu’elles sont appréciées, juste à voir la mobilisation que suscite le rejet de leur demande pour demeurer au Canada. »
Le député dénonce par ailleurs « le chaos qu’a créé le gouvernement Trudeau en matière d’immigration au pays ». « Après avoir annulé puis remis en place les exigences de visa pour les citoyens du Mexique, avoir invité formellement dans un tweet les citoyens du monde entier à venir se réfugier au Canada pour bien paraître à l’échelle internationale, il a carrément perdu le contrôle. »
Pour lui, il y a quelque chose d’inhumain dans les délais pour traiter les dossiers des demandeurs d’asile ayant le temps de s’intégrer et de commencer à rêver de pouvoir rester ici avant de connaître la décision de l’immigration quant à leur avenir. « Je vais, avec les membres de mon équipe, accompagner les familles dans toutes leurs démarches vis-à-vis les services d’immigration et du cabinet du ministre », conclut-il.