Maisons de 2e étape : des projets en péril en raison de l’incohérence gouvernementale
Depuis plusieurs mois, la maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants La Gîtée à Thetford Mines travaille sur un projet de complexe de sept logements 3½ de type accueil de 2e étape. Toutefois, l’incohérence gouvernementale et la lenteur administrative mettent en péril sa réalisation.
Cette situation est dénoncée par l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale (Alliance MH2), dont fait partie La Gîtée. Le regroupement rappelle qu’au printemps 2021, le gouvernement du Québec s’était engagé à déployer un ensemble de mesures en réponse à la vague de féminicides. Parmi celles-ci figurait le développement de nombreuses places de 2e étape, dont la mission est d’héberger les femmes et enfants à haut risque d’être victimes d’un homicide lié à la violence conjugale.
« Les programmes existants ne sont pas adaptés à ces besoins. À la Société d’habitation du Québec (SHQ), on nous propose des programmes de logements sociaux, mais ce n’est pas cela notre projet. Pour les maisons de 2e étape, il y a plusieurs éléments dont nous devons tenir compte, comme la sécurité qui est un enjeu important », explique la directrice de La Gîté, Chantal Tanguay.
Plus de 60 % des espaces d’intervention (salles de rencontres individuelles et de groupes, local d’intervention pour les enfants, etc.) nécessaires pour offrir les services financés par le ministère de la Santé ne sont pas reconnus par la SHQ en raison de limitations liées aux programmes de logements sociaux. Actuellement, ce sont onze projets, incluant 200 places, répartis dans cinq régions qui rencontrent des obstacles majeurs en raison de normes qui ne correspondent pas à leur réalité. Plusieurs maisons ont déjà engagé beaucoup d’argent dans leur projet, ce qui place les organismes dans une situation financière difficile, menaçant la réalisation des maisons de 2e étape.
« Certaines avancées ont certes été obtenues au fil de multiples rencontres, mais la situation ne se gère qu’un projet à la fois, une conjoncture hautement décourageante. Bien que certains acteurs saisissent les enjeux et démontrent une volonté de débloquer les choses, nous nous retrouvons malgré tout devant leur impuissance face à l’incohérence gouvernementale des différents programmes concernés », soutient l’Alliance MH2.
Celle-ci demande donc une mobilisation des ministères, secrétariats et organismes étatiques afin de créer des assouplissements et des adaptations rapides des programmes de financement existants pour que les projets puissent se réaliser à court terme. Elle prie également le gouvernement du Québec de concevoir un programme spécifique pour les hébergements de 2e étape en violence conjugale.
LE PROJET DE LA GÎTÉE
La maison d’hébergement La Gîtée avait procédé à l’achat de la résidence voisine il y a 35 ans, à même son fonds de dotation, afin de régler un manque de stationnement. Le bâtiment a déjà une vocation de 2e étape et comprend cinq chambres pour femmes seules avec salon et cuisine. Le projet de l’organisme, qui a déjà les plans en mains et a commencé à engager des professionnels pour un début de construction au printemps, est d’en faire un tout nouveau complexe d’hébergement. La bâtisse inclurait aussi des bureaux pour les intervenantes ainsi qu’une salle de jeux pour les enfants. Le développement permettrait également d’aménager une cour extérieure.
« Il y a deux ans, l’Alliance MH2 m’informait qu’il y a avait une volonté gouvernementale de développer une offre de 2e étape si je voulais mettre de l’avant un projet. Ça faisait quelques années que j’avais cette idée en tête, soit de transformer la maison en immeuble à logements. Les besoins sont là puisque nous sommes en gestion de croissance. Nous l’avons mis sur pied en deux semaines. Nous ne l’avons pas obtenu lors du premier appel, mais nous avons été mis sur la liste de priorités du suivant. Nous avons été acceptés par le fédéral qui a confirmé un montant, mais le financement doit être complété par le provincial », raconte Mme Tanguay.
La Gîtée comprend une quinzaine de places qui conserveraient leur vocation de 1re étape. Le complexe de 2e étape permettrait de rediriger les femmes ayant besoin de ce type de service. « Ce ne sont pas toutes les femmes qui passent d’un hébergement de 1re à 2e étape. On parle d’un nombre entre 8 et 10 %. Elles en ont besoin en raison de la situation de violence et de harcèlement qui perdure après une séparation. Il y a un enjeu de sécurité », indique la directrice de La Gîtée.
Par ailleurs, au fil des ans, l’équipe de l’organisme s’est agrandie et comprend actuellement 18 intervenantes permanentes ainsi que quelques-unes sur appel. Elles ont besoin d’espace afin d’offrir leurs services, autant en interne qu’en externe.
« Depuis quelques années, il y a un mouvement de société entourant la prévention de la violence conjugale. Les gouvernements ainsi que l’appareil judiciaire mettent en place des outils pour contrer le fléau. Ça fait longtemps que je suis ici et c’est vraiment intéressant ce qui se passe. En ce qui a trait aux maisons de 2e étape, nous savons qu’il y a une volonté, il faut seulement coordonner l’appareil gouvernemental », conclut Chantal Tanguay.