Un choc pour les immigrants et un impact social majeur

Les fermetures de classes de francisation à travers le Québec entraînent des répercussions humaines importantes et pourraient fortement influencer le futur de plusieurs immigrants. Les groupes du Centre d’éducation des adultes L’Escale à Thetford Mines qui ne pourront pas poursuivre leur francisation ont accueilli la nouvelle avec tristesse. Cela leur apporte de l’inquiétude quant à leur avenir comme Québécois et Québécoises. 

Originaires des Philippines, Veronica Anil, Ivan Dacillo et Renso Asuncion font partie de ces personnes dont le futur est remis en question.

Résidente de Thetford Mines depuis août 2023, Veronica devait compléter son examen du niveau 6 vendredi. Elle espère qu’elle pourra aussi faire celui du niveau 7 d’ici la fin des cours. À noter que pour déposer une demande à la formation professionnelle ou au cégep, les gens doivent avoir réussi un test de français standardisé après avoir complété le niveau 7. Ce test est aussi nécessaire afin d’être admissible à une demande de résidence permanente. « C’est le seul espoir que nous avons pour obtenir un travail et avoir une belle vie ici », a affirmé la jeune femme qui ne pouvait pas retenir ses larmes.

Cette dernière s’intéresse à la communication et au service à la clientèle. Elle espère pouvoir continuer son parcours scolaire dans ces domaines. Elle tenait à souligner la grande motivation et la résilience des immigrants à vouloir apprendre le français afin de bien s’intégrer à leur nouveau milieu.

Ivan, qui lui est au niveau 5 et souhaite se rendre au 6e bientôt, a mis de l’avant le très grand impact sur ceux qui, comme lui, espèrent continuer leurs études et passer leur vie au Québec. Pour lui, la francisation est une porte vers l’éducation, mais aussi vers l’intégration à son nouveau milieu. Son père, tout comme celui de Renso, est arrivé ici il y a sept ans, mais ce n’est que depuis l’an dernier que la famille a pu s’installer au Québec après six années à être séparée.

Renso a pour sa part été marqué par la réaction de sa classe lorsque la nouvelle est tombée. « L’énergie a rapidement changé, a-t-il dit en faisant référence aux sourires qui sont disparus. C’est difficile pour beaucoup de personnes de rester positives. J’aimerais les aider à garder espoir », a dit celui qui adore converser avec les autres. Apprendre le français est donc très important pour lui.

Ayant commencé le niveau 5 que récemment, il ne lui est pas possible actuellement de poursuivre des études pour « aider les personnes ». Le mot « aide » est revenu souvent dans le témoignage du jeune homme qui rêve de devenir psychiatre afin de mettre en pratique ce côté de sa personnalité. S’il ne peut pas terminer ses cours, il ne sera pas en mesure d’atteindre son but.

EFFRITEMENT DU TISSU SOCIAL

Enseignante en francisation à L’Escale, Andréanne Lacasse est bien entendu déçue de voir son équipe être séparée. Une complicité s’était instaurée et une expertise s’était développée entre collègues.

Elle est surtout triste pour les élèves qui ne pourront pas poursuivre leur apprentissage. « Après avoir complété le quatrième niveau, ils peuvent se débrouiller pour avoir des conversations, mais ça ne va pas plus loin. C’est certain que pour une bonne intégration, ça prend plus que ça. On leur enlève ce moyen d’intégration et pour beaucoup, leur rêve et un espoir pour le futur. »

Le tissu social que s’étaient créé les élèves au sein de l’école est également important et cela aura probablement pour conséquence de l’effriter, a-t-elle indiqué. « Il y a leurs amis et leurs collègues de classe qu’ils côtoient. Puis il y a aussi notre équipe, nous ne sommes pas juste des enseignantes, nous sommes leurs confidentes et nous les aidons dans plusieurs problèmes. Ça me brise le cœur de les imaginer sans ce soutien. » 

Elle a ajouté que dans la région, il n’existe pas vraiment d’alternative pour ceux qui désirent continuer la francisation et qui n’ont pas accès au Service aux entreprises. « Il y a possiblement les cours en ligne du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, mais les listes d’attente sont déjà extrêmement longues. Si tu ajoutes nos élèves et ceux des autres régions, ça va devenir irréaliste. Personnellement, je crois qu’il pourrait y avoir un bris de service pendant longtemps. »

Mme Lacasse a également souligné que l’équipe enseignante avait perçu le soutien de la direction de L’Escale, tant envers elles qu’envers les élèves. Leur colère est plutôt dirigée vers les décisions gouvernementales. 

UN MANQUE DE VISION À LONG TERME

Pour le maire de Thetford Mines et préfet de la MRC des Appalaches, Marc-Alexandre Brousseau, cette situation n’a aucun bon sens. Il a aussi parlé d’improvisation de la part du gouvernement. « Nous avons réussi à devenir une région et une ville attrayantes pour les immigrants. Les gens sont débarqués en grands nombres. Nos entreprises avaient un problème de pénurie de main-d’œuvre et elles ont trouvé des solutions en recrutant à l’étranger. Tout s’était mis en place, on avait quelque chose qui commençait à bien fonctionner, puis là on prend ce gros château de cartes et on fragilise la base, ce qui risque de tout faire effondrer. »

Il a de plus souligné que les nouveaux arrivants, incluant les plus jeunes, sont importants pour le présent, mais aussi pour le futur de la région. Selon lui, il s’agit d’une absence de vision à long terme. « On manque déjà de travailleurs dans nos hôpitaux. Si on n’a pas ces personnes qui pourront étudier en santé ou dans d’autres domaines importants, on va encore se battre pour trouver du monde ailleurs. C’est n’importe quoi », a-t-il pesté.

UNE SITUATION PRÉOCCUPANTE POUR LES FEMMES IMMIGRANTES

Cette nouvelle est très préoccupante selon l’organisme Liaison femmes immigrantes de la Chaudière-Appalaches (LFICA), d’autant plus que les services de francisation jouent un rôle essentiel dans le parcours d’intégration de celles que l’organisme accompagne. 

« La réduction des cours de francisation risque de créer une onde de choc au sein de cette communauté déjà vulnérable. Il est important de comprendre que la francisation ne se limite pas simplement à l’apprentissage d’une langue. Pour ces femmes, souvent isolées par la barrière linguistique, c’est une opportunité de briser cet isolement, de se sentir plus autonomes et de prendre part à la société québécoise. La langue est la clé qui ouvre la porte à l’emploi, aux services essentiels, à la participation sociale  et parfois même à l’estime de soi », a observé la présidente et cofondatrice de LFICA, Elima Diabong.

Cette dernière a soutenu que de nombreuses femmes risquent de se retrouver encore plus marginalisées, particulièrement celles qui doivent jongler avec des responsabilités familiales et des horaires restreints. « Leur parcours vers une meilleure intégration pourrait être retardé de plusieurs années. L’impact de cette décision se fera sentir bien au-delà des chiffres, affectant des familles entières et leur capacité à s’ancrer durablement dans notre région. »

Mme Diabong dit comprendre les défis budgétaires auxquels le gouvernement fait face, mais il est crucial selon elle de considérer l’ampleur de l’enjeu pour ces personnes immigrantes. « Les besoins d’aujourd’hui ne sont plus ceux de 2020-2021 et il est impératif d’ajuster les services en conséquence. Réduire l’accès à la francisation, c’est limiter l’opportunité d’un nouveau départ pour des femmes qui sont venues ici dans l’espoir de construire un avenir meilleur pour elles-mêmes et leurs familles. »

L’organisme espère que des solutions seront trouvées pour éviter d’aggraver la situation de cette population qui a déjà tant à surmonter. « Chaque cours annulé et chaque opportunité manquée sont un pas en arrière pour leur intégration, la diversité et la richesse de notre région. »

À lire : Réduction du nombre de cours de francisation