Crédits de biodiversité : monnayer la nature pour éviter son déclin

MONTRÉAL — L’accord Kumning-Montréal, signé par près de 200 pays lors de la COP15, suggère la création de crédits biodiversité, qui pourraient s’inspirer des crédits carbone. Si certaines organisations y voient un mécanisme pour atteindre la protection de 30% de la planète, d’autres s’inquiètent de la marchandisation de la nature.

La Convention sur la diversité biologique (CDB) de l’ONU évalue à 700 milliards $ par année, le montant nécessaire au financement des activités économiques et des mesures de protection qui permettront de renverser le déclin de la biodiversité.

Dans la cible 19 de l’accord Kunming-Montréal, il est indiqué qu’une des façons de financer la protection de la biodiversité est de stimuler «les systèmes innovants» tels que «les crédits de biodiversité».

Un tel système pourrait être l’image du marché du carbone, qui permet par exemple à des entreprises du Québec d’acheter «des droits de polluer» à des entreprises de la Californie qui réussissent à diminuer ou éviter les émissions de GES.

«Je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est encore une bébelle, trouvée par le système économique actuel, pour éviter d’avoir à véritablement faire le travail de ne pas détruire tout simplement», a affirmé sans détour Anne-Céline Guyon, chargée de projet climat chez Nature Québec.

«Un écosystème, c’est extrêmement complexe. Comment s’assurer de compenser tous les éléments de la destruction d’un écosystème quelque part en restaurant un autre ailleurs? Ça ne serait pas forcément les mêmes espèces, les mêmes plantes, les mêmes habitats et la même diversité génétique», a ajouté Anne-Céline Guyon, qui a suivi de près les négociations de la COP15.

Détruire l’habitat du loup pour restaurer celui de l’éléphant?

Est-ce qu’une entreprise minière qui détruirait par exemple un corridor de migration du loup en Amérique du Nord, pourrait compenser cette perte en payant pour protéger l’habitat de l’éléphant au Gabon?

Les grands principes du fonctionnement des crédits biodiversité ne sont pas encore établis et comme le souligne le professeur d’économie Charles Séguin, le diable est dans les détails.

«On cherche à atteindre 30% d’aires protégées en 2030, donc on pourrait imaginer que ce serait des crédits sur des superficies d’aires protégées. Mais évidemment, toutes les superficies n’ont pas la même qualité de biodiversité», a précisé le professeur au département des sciences économiques de l’UQAM, en ajoutant qu’un hectare de forêt amazonienne, qui a une biodiversité très grande, n’a pas la même valeur qu’un hectare de forêt nordique.

 «Donc ça, ce n’est pas clair. Disons que la comptabilité de cette chose-là va être beaucoup plus difficile que dans le cas des changements climatiques», a souligné Charles Séguin.

Des règles plus compliquées

Les règles et la méthodologie des marchés du carbone qui visent à diminuer les émissions de CO2 sont effectivement relativement simples.

Le nombre de tonnes de CO2 évitées ou capturées grâce à un projet est mesurable, alors «on est vraiment dans un enjeu où il y a une équivalence complète au niveau des sources, peu importe que la tonne de gaz à effet de serre vienne du Brésil ou du Canada, l’impact est le même sur les changements climatiques», a expliqué le professeur d’économie.

Malgré la complexité de créer des marchés de crédits de biodiversité, il croit «qu’il y aura une demande».

Toutefois, il est d’avis que le potentiel «des gains économiques tirés de l’échange d’aires protégées contre des sommes d’argent entre les pays» serait plus faible que pour celui des crédits carbone.

Lors du dernier jour de la COP15 à Montréal, La Presse Canadienne a questionné le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault sur le sujet.

Il a indiqué qu’en ce qui concerne le Canada, il n’est pas question de participer à des échanges de crédit biodiversité «sans la collaboration des peuples autochtones, des provinces et des territoires concernés, donc ce n’est pas le gouvernement fédéral qui va décider de faire ça».

Il a ajouté que «certaines nations autochtones sont très intéressées à utiliser ce genre de mécanisme là».

Parce qu’ils savent protéger la biodiversité de façon efficace, les peuples autochtones pourraient particulièrement tirer profit des crédits biodiversité selon un rapport publié juste avant la COP15 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et l’Institut international pour l’environnement et le développement.

«Les crédits biodiversité représentent une unité de biodiversité en cours de restauration ou de préservation. Ils sont développés pour être achetés et vendus, et lorsqu’ils sont conçus avec soin, ils peuvent canaliser les flux financiers vers une conservation efficace de la biodiversité et soutenir directement l’action menée localement pour garantir que les peuples autochtones et les communautés locales puissent pleinement participer et bénéficier de ce mécanisme», peut-on lire dans le rapport «Biocredits to finance nature and people».

L’étude lance toutefois cette mise en garde : «un système législatif solide et des réglementations significatives sont nécessaires pour s’assurer qu’il existe des preuves documentées du gain de biodiversité résultant des projets de crédits de biodiversité.»

Le Gabon, souvent considéré comme un premier de classe pour la protection de son territoire, est l’un des premiers pays à avoir manifesté son intérêt envers la vente de crédits de biodiversité.