Des avocats débattent du lien de causalité directe entre la Shoah et le nazisme

MONTRÉAL — L’avocate d’un Montréalais accusé d’avoir délibérément fomenté la haine contre les Juifs a soutenu devant le tribunal vendredi que l’accusation n’avait pas correctement défini le nazisme ni présenté de preuves sur ce qui s’était passé pendant la Shoah. 

Gabriel Sohier Chaput, âgé de 36 ans, est accusé d’avoir «fomenté volontairement la haine contre un groupe identifiable», dans ce cas-ci les Juifs, dans un article écrit pour le site Web néonazi «Daily Stormer».

L’avocate de la défense Hélène Poussard a fait valoir vendredi que sans un témoignage d’expert, le juge ne pouvait pas accepter comme un fait établi que les nazis ont exterminé six millions de Juifs au siècle dernier.

Les faits présentés devant un tribunal peuvent être «judiciairement constatés» lorsqu’ils sont généralement acceptés ou notoires et qu’un débat n’est pas nécessaire à leur sujet.

En juillet dernier, le juge Manlio Del Negro, de la Cour du Québec, avait reproché à la Couronne de ne pas avoir appelé à la barre un témoin expert pour établir clairement au procès que le meurtre de Juifs par le régime d’Adolf Hitler était une conséquence de l’idéologie nazie.

Le juge Del Negro a ensuite demandé aux deux parties de venir débattre en cour de la question de savoir s’il était de notoriété publique que le «Daily Stormer» constitue un site d’extrême droite et que le nazisme a effectivement conduit à un génocide contre les Juifs d’Europe.

Vendredi, Mme Poussard a tenté d’argumenter que le nombre de Juifs tués pendant l’Holocauste n’était pas connu, mais le juge Del Negro l’a arrêtée. Il lui a demandé si elle voulait dire qu’il ne devait pas prendre en compte une partie de l’Holocauste.

«Vous contestez le nombre ?» a-t-il demandé, à propos du génocide de six millions de Juifs.

«Je ne conteste rien du tout, a-t-elle répondu. Ce que je dis, c’est que vous ne disposez pas de connaissance judiciaire (en la matière)».

Me Poussard a également fait valoir que des personnes qui n’étaient pas membres du parti nazi avaient participé au meurtre de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et que la signification du «nazisme» en 2017 pouvait être différente de ce qu’elle était en Allemagne dans les années 1930 et 1940.

L’avocate de la défense a déclaré que l’accusation aurait également dû appeler un témoin expert pour témoigner sur la façon dont les nazis considéraient les Juifs comme inférieurs, étant donné qu’ils considéraient également de nombreux autres groupes ethniques comme inférieurs aux Allemands.

Le procureur Patrick Lafrenière s’est adressé brièvement au tribunal après Mme Poussard. Il a déclaré que le juge pourrait établir un constat judiciaire en utilisant une source fiable d’informations sur la façon dont les nazis considéraient le peuple juif comme inférieur.

«Une façon pour vous de prendre connaissance d’office consiste à consulter une source fiable et facilement vérifiable», a-t-il déclaré, suggérant que le juge pourrait consulter l’Encyclopaedia Britannica.

À l’extérieur de la salle d’audience, Emmanuelle Amar, directrice des politiques et de la recherche pour le Québec au Centre consultatif des relations juives et israéliennes, a déclaré que le procès montre la nécessité d’une éducation obligatoire dans les écoles québécoises sur l’Holocauste et l’antisémitisme.

«L’Holocauste est un fait, il a été reconnu comme un fait historique par la jurisprudence canadienne, mais aussi, depuis cet été, le déni de l’Holocauste est désormais une infraction pénale au Canada», a-t-elle expliqué en entrevue vendredi.

«L’Holocauste est le génocide le plus minutieusement documenté au monde, il a été documenté par ses auteurs, par leurs victimes, par des spectateurs ; il y a des preuves physiques, il y a toutes sortes de preuves de l’Holocauste, a-t-elle dit. C’est un fait incontesté».

Le juge Del Negro a déclaré qu’il rendrait son verdict sur Gabriel Sohier Chaput le 23 janvier.