Le Canada a demandé, en vain, l’utilisation des installations de l’UE à Kaboul

OTTAWA — Le Canada a demandé l’utilisation des installations de l’Union européenne (UE) à Kaboul pour aider à des tâches telles que la prise d’empreintes digitales pour les personnes qui fuient l’Afghanistan, selon des documents obtenus par La Presse Canadienne.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, en a fait la demande le 20 janvier 2022, selon des documents obtenus grâce à une demande d’accès à l’information.

«La ministre Joly a interrogé le haut représentant de l’UE (Josep) Borrell sur la possibilité pour le Canada de s’installer au même endroit que l’UE à Kaboul, afin d’effectuer un contrôle biométrique depuis leurs locaux», lit-on dans une note d’information de juillet 2022.

Le document indique que l’UE a répondu au début d’avril 2022, offrant un espace pour deux fonctionnaires canadiens dans l’enceinte «à condition que le contrôle biométrique soit effectué dans un troisième endroit géré par le gouvernement du Canada».

Il indique qu’un mois plus tard, de hauts fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada «ont déterminé qu’il serait très difficile de donner suite à l’offre de l’UE».

C’est peut-être parce qu’il y a des problèmes pour les Afghans qui tentent d’accéder aux installations de Kaboul depuis la prise de contrôle des talibans.

Mais en juin 2022, la note d’information précise que «nous sommes encore en train d’évaluer les implications juridiques, opérationnelles et de devoir de diligence de cette offre», ajoutant qu’il existe «des contraintes juridiques importantes qui limitent la capacité du Canada à rétablir tout type de présence à Kaboul».

Le ministère des Affaires mondiales n’a pas voulu dire s’il avait fini par envoyer quelqu’un dans les installations de l’UE.

«Nous ne discutons pas de détails opérationnels de nos missions à l’étranger pour des raisons de sécurité», a écrit la porte-parole Patricia Skinner.

«Le Canada demeure engagé envers l’Afghanistan et le peuple afghan, et nous continuerons de faire tout ce que nous pouvons pour les soutenir.»

La délégation de l’UE à Ottawa a laissé entendre que l’idée n’était plus d’actualité.

«À la suite à la demande du Canada, la possibilité d’accueillir des fonctionnaires canadiens dans les locaux de la mission de l’UE à Kaboul pour une période limitée a été envisagée, mais cela ne s’est finalement pas concrétisé», peut-on lire dans une déclaration fournie en anglais.

Le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté n’a pas voulu dire si Ottawa avait décliné ou accepté l’offre ni si elle était toujours valable.

«Pour des raisons de sécurité opérationnelle, nous ne sommes pas en mesure de fournir des informations spécifiques», a écrit le porte-parole Matthew Krupovich.

Il a déclaré que les efforts du gouvernement pour réinstaller les personnes fuyant le pays ont été entravés par les exigences d’entrée et de sortie des talibans et des pays voisins.

«Le manque de présence militaire, diplomatique et globale du Canada en Afghanistan a également présenté des défis dans la façon dont nous recueillons et vérifions les informations des demandeurs qui restent dans leur pays, mais le Canada continue d’explorer les options.»

Wendy Cukier, cofondatrice de Lifeline Afghanistan, a déclaré que de nombreux Afghans qui ont réussi à se rendre dans des pays comme le Canada ont des parents qui se cachent dans leur pays et qu’ils veulent désespérément faire sortir, mais qu’ils n’ont aucun moyen de le faire.

«Nous devons trouver un moyen de faciliter l’arrivée des personnes au Canada tout en veillant à ne pas créer de risques pour la sécurité», a déclaré Mme Cukier, dont le groupe cherche à réinstaller les Afghans et à les aider à s’intégrer.

«Le Canada doit se préoccuper de ne pas mettre ses citoyens en danger, et (cela) pourrait également constituer un risque pour les résidants locaux, car s’ils étaient vus en train de s’approcher du (complexe), ils deviendraient des cibles.»

Mme Cukier, professeure d’entrepreneuriat à l’Université métropolitaine de Toronto, a déclaré qu’il était utile qu’Ottawa cherche des moyens de réduire les formalités administratives. 

Mais elle a fait valoir qu’Ottawa pourrait accélérer le traitement des demandes en supprimant l’exigence d’une évaluation formelle du statut de réfugié pour les Afghans, comme il l’a fait pour les Syriens en 2015.

«Le principe d’essayer de trouver un mécanisme qui ne légitime pas le régime taliban, mais qui nous permet en même temps de fournir le soutien dont nous avons besoin, est très important.»

L’automne dernier, les médias ont révélé que le Canada avait eu des pourparlers réguliers avec les talibans, quelques semaines seulement après la prise de contrôle de l’Afghanistan en août 2021.

Le gouvernement Trudeau a insisté sur le fait qu’il ne reconnaîtrait pas les talibans comme gouvernement du pays, mais a déclaré que des diplomates canadiens se sont joints à leurs homologues occidentaux dans des discussions avec des responsables talibans au Qatar afin de défendre l’éducation des filles.

Certains experts régionaux ont proposé que les alliés occidentaux lancent un bureau de représentation multi-pays au lieu d’ambassades officielles en Afghanistan, afin de suivre la situation des droits de l’homme sur place.

Entre-temps, la Chambre des communes devrait procéder lundi à un vote final sur un projet de loi visant à débloquer l’aide humanitaire en Afghanistan, et des auditions au Sénat sur la législation sont prévues dans la soirée.

Le projet de loi C-41 vise à modifier les lois canadiennes sur le terrorisme, qui interdisent actuellement aux travailleurs humanitaires canadiens de payer des taxes sur le travail ou les marchandises en Afghanistan. Une telle pratique pourrait entraîner des poursuites pour soutien financier aux talibans au pouvoir, qui sont désignés comme groupe terroriste par la loi canadienne.

Le projet de loi permettrait aux groupes d’aide de demander à Ottawa d’être exemptés de telles poursuites. 

Les libéraux ont amendé le projet de loi pour l’adapter aux propositions du NPD et des conservateurs qui cherchent à clarifier le rôle d’Ottawa dans la désignation des régions qui nécessiteraient cette approbation, les rapports relatifs au projet de loi et la possibilité de faire appel d’un rejet.

Le projet de loi contient également une clarification visant à établir une distinction entre les travailleurs humanitaires, qui interviennent en cas de crise et bénéficient déjà d’une protection internationale, et les travailleurs du développement, qui cherchent à réaliser des progrès à long terme, comme la construction d’écoles.

Le NPD estime que le projet de loi ne va pas encore assez loin pour éviter que les travailleurs humanitaires ne soient criminalisés.