Le profilage racial exercé par la police dans la mire du ministre Bonnardel

MONTRÉAL — Québec veut mieux encadrer les interpellations de la police afin de lutter contre le profilage racial et donner plus de mordant au système de la déontologie policière. Le gouvernement Legault souhaite aussi autoriser l’accès à des renseignements personnels pour accélérer les recherches en cas de disparition. 

Ce sont les grandes lignes d’un vaste projet de loi que le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a présenté, mercredi, à l’Assemblée nationale afin principalement de moderniser certaines pratiques des corps policiers. Une première mouture avait été déposée en décembre 2021, mais n’a pu être adoptée avant le déclenchement des élections. 

«Ce qui était important pour moi, c’était d’aligner la loi avec la nouvelle réalité policière, m’assurer que les policiers soient mieux formés tout au long de leur carrière afin qu’ils s’adaptent plus rapidement, renforcer la confiance du public envers les corps de police et leurs membres, et accroître l’efficience de l’activité policière», a-t-il expliqué en conférence de presse, accompagné du ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete. 

La pièce législative s’attaque à la question des interpellations policières, incluant les interceptions en lien avec l’article 636 du Code de la sécurité routière, dont l’application est perçue par plusieurs comme une source de profilage racial par la police. 

À la suite de l’adoption du projet de loi 14, le ministre Bonnardel s’engage à établir des lignes directrices pour s’assurer que les interpellations policières basées sur des motifs discriminatoires soient interdites. En cas de non-respect des directives, les policiers pourraient faire face à des sanctions disciplinaires. 

Les corps policiers devraient aussi rendre des comptes en fournissant chaque année des informations sur les interpellations et les interceptions routières qu’ils ont effectuées. 

Le gouvernement Legault ne prévoit aucunement l’abolition de l’article  636 du Code de la sécurité routière qui permet aux policiers d’intercepter des véhicules sans motif. 

Québec conteste la décision de la Cour supérieure invalidant cette disposition du Code. Le juge a considéré que ce pouvoir arbitraire reconnu aux policiers «est devenu pour certains d’entre eux un vecteur, voire un sauf-conduit de profilage racial à l’encontre de la communauté noire».

«Le party est fini»

Le gouvernement caquiste se défend d’avoir abandonné la recommandation du Groupe d’action contre le racisme d’interdire les interpellations policières aléatoires.

«Les interpellations et les interceptions sont importantes pour sécuriser la population, mais elles ne peuvent se faire avec un motif discriminatoire», a soutenu M. Bonnardel.  

Selon M. Skeete, «le party est fini». «Être noir n’est pas un motif. Point. Si c’est ça le motif, ce n’est pas acceptable. On est ailleurs», a-t-il mentionné. 

Les caquistes ont beau répéter que leur projet de loi va empêcher le profilage racial, le député Andrés Fontecilla n’y croit pas un mot. Dans sa forme actuelle, il est «un coup d’épée dans l’eau», estime le responsable de Québec solidaire en matière de Sécurité publique. 

«Le jugement Yergeau était très clair : il est difficile, voire impossible, de prouver qu’il y a un motif de discrimination dans une interpellation aléatoire. (…) Le ministre Bonnardel promet des ‘‘directives’’ sans être capable de nous dire ce qu’elles vont contenir ni comment elles vont permettre d’empêcher le profilage racial à sa source», a commenté dans une déclaration écrite M. Fontecilla. 

La Ligue des droits et libertés (LDL) déplore aussi l’absence de mesures nécessaires pour interdire les interpellations policières, ainsi que pour contrer l’impunité policière en réformant le Bureau des enquêtes indépendantes en profondeur.

«Toute tentative des autorités de mettre des balises aux interpellations n’est que de la poudre aux yeux », a affirmé Lynda Khelil, porte-parole de la LDL, qui entend participer aux consultations publiques sur le projet de loi. 

Modernisation de la déontologie

Le projet de loi 14 prévoit également que le Comité de déontologie policière devienne un tribunal administratif. Il aurait le pouvoir d’imposer des mesures additionnelles, en plus de sanctions, à un policier dont la conduite est contraire à son code déontologique. 

Celles-ci incluent de suivre une formation ou un stage de perfectionnement, de se soumettre à une évaluation médicale, de participer à un programme d’aide ou de soutien ou à une thérapie en lien avec ses besoins et de participer à un programme d’engagement communautaire.

Une révision des sanctions que le futur tribunal pourrait ordonner est aussi prévue. Il se verra allouer des fonds supplémentaires, dont les sommes seront connues au moment du dévoilement du budget mardi prochain, a précisé  M. Bonnardel. 

Ce dernier cherche aussi à moderniser le rôle du Commissaire à la déontologie policière en lui conférant le pouvoir de mener des enquêtes de sa propre initiative. De plus, le ministre veut accorder au Commissaire un rôle de prévention et d’éducation en matière de déontologie. 

Des outils supplémentaires en cas de disparition

Par ailleurs, le projet de loi vise à introduire de nouveaux moyens pour permettre aux policiers de retrouver rapidement une personne disparue. Les agents pourraient accéder à des renseignements personnels cruciaux sous l’ordonnance d’un juge.

Il pourrait s’agir d’informations se retrouvant sur le cellulaire de la personne disparue ou de la personne qui l’accompagne, a indiqué M. Bonnardel. 

«Je pense qu’en 2023, il est important que nos policiers puissent avoir ces informations rapidement qui vont amener la police à réagir et j’espère à sauver des vies», a affirmé le ministre. 

Le projet de loi 14 propose également des modifications en matière correctionnelle et de schémas de couverture de risques en sécurité incendie.