Les objets volants soulignent la nécessité d’améliorer la sécurité dans l’Arctique
YELLOWKNIFE — Des élus et des chercheurs estiment que les histoires d’objets volants repérés et abattus dans l’espace aérien nord-américain au cours des dernières semaines soulignent à gros traits la nécessité d’améliorer la sécurité dans l’Arctique canadien.
«Ça devrait être un signal d’alarme, pour les Canadiens en général, sur la capacité militaire terriblement insuffisante que nous avons dans le Nord, a déclaré le chef du Parti de l’opposition au Yukon, Currie Dixon. Le fait que nous dépendions énormément de l’armée américaine, c’est tout simplement une réalité dans le Nord et c’est quelque chose que beaucoup d’autres Canadiens ne trouveraient pas non plus acceptable, à mon avis.»
Un ballon de surveillance à haute altitude d’origine chinoise a été abattu par un avion de chasse américain au large des côtes de la Caroline du Sud le 4 février dernier, après avoir survolé l’Alaska et le Canada. La Chine a parlé d’un «ballon civil» qui effectuait des recherches météorologiques.
La semaine suivante, trois objets aériens non identifiés à haute altitude ont été abattus en autant de jours au-dessus de l’Alaska, du Yukon et du lac Huron, au Michigan. Peu d’informations ont été publiées jusqu’ici sur leur charge utile, leur objectif ou leur origine. Les efforts de récupération sont en cours.
Les responsables américains et canadiens ont déclaré qu’ils ne pensaient pas que les objets constituaient une menace directe pour les personnes au sol, mais qu’ils auraient pu interférer avec le trafic aérien commercial.
M. Dixon rappelle que des acteurs majeurs, autres que le Canada, ont accru leur présence militaire dans l’Arctique, tandis que la Chine a des intérêts économiques dans cette région. Il soutient que le Canada devait également améliorer sa capacité de sécurité terrestre, maritime et aérospatiale dans le Nord, ce qui devrait inclure l’établissement d’une base militaire permanente, d’un port en eau profonde dans l’ouest de l’Arctique, et l’amélioration de la capacité de brise-glace.
Le premier ministre du Yukon, Ranj Pillai, a indiqué qu’il avait parlé la semaine dernière des problèmes de sécurité dans l’Arctique, y compris la modernisation de la détection d’alerte précoce, avec d’autres premiers ministres, des responsables au ministère de la Défense et le premier ministre Justin Trudeau. Investir dans les communautés est également important pour la sécurité de l’Arctique, a-t-il dit, soulignant les travaux en cours au Yukon pour construire une ligne de fibre optique et améliorer les routes et l’aéroport de Whitehorse.
«Il est temps pour nous, encore une fois en tant que pays, de penser au-delà des cycles électoraux et de réfléchir à des plans plus importants afin que notre pays dispose de l’infrastructure appropriée», a-t-il déclaré.
Intérêt accru pour l’Arctique
Pierre Leblanc, un colonel à la retraite et ancien commandant du Secteur du Nord des Forces armées canadiennes — aujourd’hui la Force opérationnelle interarmées du Nord —, a déclaré que les gouvernements fédéraux successifs n’avaient pas suffisamment investi dans la défense du Canada. «Il y a urgence pour inverser la tendance», a-t-il dit.
M. Leblanc souligne qu’il y a un intérêt accru pour l’Arctique, car les routes maritimes dans le Grand Nord ont été ouvertes en raison de la fonte des glaces de mer, et la région possède des ressources précieuses, notamment du pétrole, du gaz et des métaux de terres rares. Il est également préoccupé par les agressions accrues de la Chine et de la Russie.
M. Leblanc admet que la sécurité de l’Arctique s’est améliorée avec la Constellation RADARSAT — une flotte de satellites d’observation de la Terre — et le déploiement dans la région de navires de patrouille extracôtiers. Mais il rappelle qu’il n’y a pas de port en eau profonde dans l’Extrême-Arctique, et que les navires de la Garde côtière canadienne et la flotte navale prennent de l’âge. Un rapport du vérificateur général de novembre a d’ailleurs révélé qu’Ottawa n’avait pas comblé les vieilles lacunes en matière de surveillance des eaux arctiques.
«L’Arctique est notre arrière-cour, si vous voulez. C’est un bel environnement fragile et nous avons le devoir d’être les gardiens de cette région, a soutenu M. Leblanc. Nous devons comprendre ce qui se passe.»
Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité et professeure agrégée en études politiques à l’Université du Manitoba, estime que la réponse aux objets volants montre que le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) fonctionne, mais que l’Amérique du Nord est vulnérable.
«Le côté positif (des objets volants), c’est que les Canadiens, les Américains se rendent compte qu’ils disposent de ce NORAD, a-t-elle déclaré. Je pense qu’ils commencent à réaliser que c’est en fait la première ligne de défense pour l’Amérique du Nord.»
Mais Mme Charron croit que ce NORAD devait être modernisé en mettant à jour le Système d’alerte du Nord. Et il existe d’autres lacunes dans la sécurité de l’Arctique au-delà de la défense, telles que le manque de logements et d’internet fiable, et les infrastructures de transport limitées, a-t-elle ajouté. Elle admet que ces dossiers sont souvent reportés, étant donné les coûts «assez exorbitants».
Adam Lajeunesse, titulaire de la chaire Irving Shipbuilding sur la politique de sécurité maritime dans l’Arctique et professeur adjoint à l’Université St. Francis Xavier, croit quant à lui que l’Arctique canadien n’est pas lui-même directement menacé, mais que les menaces pourraient traverser cette région et atteindre des cibles stratégiques ailleurs en Amérique du Nord.
Les plus grandes préoccupations en matière de sécurité dans la région, a-t-il dit, comprennent la pêche illégale, les intrusions et les dommages environnementaux, qui ont été au centre des préoccupations des Forces armées canadiennes.
Le gouvernement canadien a pris plusieurs engagements financiers pour améliorer la sécurité dans le Nord. En juin, le ministre de la Défense nationale a annoncé 4,9 milliards $ sur six ans pour moderniser le NORAD et des plans à long terme pour investir 38,6 milliards $ sur 20 ans.
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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.