Ottawa cède la protection de près d’un million de kilomètres carrés aux Autochtones

MONTRÉAL — Ottawa place sous la protection de communautés autochtones près d’un million de kilomètres carrés de territoires nordiques, mais les conditions d’exploitation éventuelle des ressources de ces territoires restent à être négociées.

En marge de la COP15 sur la protection de la biodiversité, qui se déroule à Montréal ces jours-ci, le premier ministre Justin Trudeau et son ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, ont annoncé mercredi la conclusion d’ententes pour quatre grands projets de conservation.

Ces ententes prévoient des investissements pouvant atteindre 800 millions $ sur sept ans à compter de l’an prochain, des sommes devant notamment servir «à la planification territoriale, au financement des communautés pour l’intendance et la surveillance et pour le soutien des emplois et de la croissance locale», selon les mots du premier ministre.

Les quatre projets de protection visent la zone marine du Grand Ours, sur la côte ouest, dans le nord de la Colombie-Britannique, les territoires de 30 communautés autochtones desTerritoires du Nord-Ouest, l’immense région quasi polairede Qikiqtani au Nunavut et les basses terres et le littoral ouest de la baie d’Hudson de même que du sud-ouest de la baie James.

Une question d’existence

«Nos gens se sont occupés du territoire depuis aussi longtemps qu’on se souvienne et c’est seulement depuis les derniers 150 ans que notre capacité de protéger nos terres et nos eaux a été interrompue», a fait valoir la grande cheffe Alison Linklater, du conseil de Mushkegowuk, dont les sept communautés occupent le territoire du nord de l’Ontario et les rives des baies James et Hudson qui sont visées.

«Sans nos terres et nos eaux, nous n’existons pas», a-t-elle déclaré aux côtés du premier ministre.

Dallas Smith, président du conseil de Nanwakolas, a renchéri: «Nous ne sommes pas simplement dépendants des écosystèmes que nous protégeons et gérons et que nous maintenons depuis des millénaires. Nous n’en sommes qu’une partie et si ces écosystèmes ne sont pas en santé, nous ne pouvons considérer nos communautés comme étant en santé.»

Porte ouverte à l’exploitation

Les propos du premier ministre Trudeau indiquent toutefois qu’on ne vise pas une protection absolue des territoires en question, qui restent ouverts à l’exploitation de leurs ressources naturelles: «C’est une question de reconnaître qu’on ne peut pas développer nos ressources sans le faire en partenariat, de façon intègre, avec les Premières Nations, avec les Inuits et les Métis.»

Justin Trudeau a toutefois reconnu que l’on est encore loin d’avoir finalisé les conditions de développement économique et de protection de l’environnement et de l’équilibre entre les deux: «C’est une nouvelle approche, mais les détails vont être à regarder, à négocier, au fur et à mesure qu’on développe ces aires protégées pour permettre un développement responsable du territoire de façon économique, pour créer des emplois en ressources naturelles tout en s’assurant de la protection réelle et à long terme de ces aires vulnérables.» 

Juridiction sur le sous-sol

Ces discussions pourraient être plus difficiles qu’il n’y paraît. Le sous-sol – donc les ressources minières – est habituellement de compétence fédérale. Or les propos du grand chef de la nation Tlicho, Jackson Lafferty, laissent croire que ce ne sera plus le cas: «Avec ce partenariat, nous obtenons une plus grande reconnaissance de nos droits, de notre autorité et de nos juridictions (…) Nous détenons maintenant les droits de surface et souterrains dans nos territoires.»

Ceux de Justin Trudeau, bien que plus vagues dans un contexte où les négociations ne sont pas finalisées, montrent une certaine ouverture à ce transfert: «C’est pour ça que le partenariat avec les Autochtones est si important. Quand on parle de leur territoire, de leurs droits, il faut qu’ils fassent partie de tout travail d’exploitation ou de développement qui se fait sur ces territoires-là.» 

«En signant ces accords et ces intentions et en développant les modalités et les spécificités, c’est eux qui vont faire partie de la discussion sur où on devrait plus protéger, où il y aurait de la place pour du développement et à quelles conditions ils vont axer ce développement», a dit le premier ministre.

Encore beaucoup à faire

Justin Trudeau a reconnu qu’il y a encore beaucoup à faire: «Protéger 30 % de notre territoire (d’ici 2030) va exiger qu’on fasse énormément de partenariats, d’abord et avant tout des partenariats avec les peuples autochtones qui protègent ces territoires depuis des millénaires.»

Le premier ministre a profité de l’occasion pour saluer l’intention exprimée la veille par son homologue provincial, François Legault, d’atteindre le 30% de protection des terres du Québec d’ici 2030.