Pannes d’électricité prolongées au Québec: manque de préparation, selon un expert

MONTRÉAL — Les longues pannes qui ont laissé de nombreux ménages québécois sans électricité pendant plusieurs jours illustrent le manque de préparation du Québec pour la transition énergétique à venir, selon un expert.

La province doit améliorer ses infrastructures et sa planification d’urgence, alors que la société québécoise remplace progressivement les combustibles fossiles par l’électricité pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, a soutenu le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal, Normand Mousseau.

La situation actuelle «montre à quel point on reste fragiles et qu’on n’est pas préparés», a-t-il affirmé en entrevue avec La Presse Canadienne.

M. Mousseau, qui est également professeur de physique à l’Université de Montréal, a ajouté que l’impact des pannes ne fera que s’aggraver à mesure que l’électrification du Québec s’accentuera.

«Les gens allaient dans leur voiture pour se réchauffer pendant la nuit ou pendant quelques heures, mais quand nous aurons tous des voitures électriques, on ne pourra plus faire ça», a-t-il fait valoir.

Hydro-Québec maintenait mardi que la très grande majorité de ses clients privés d’électricité depuis le passage de la tempête de vendredi dernier seraient de nouveau alimentés avant jeudi.

Tout de même, la société d’État rapportait jeudi que vers 7h15, environ 8850 de ses abonnés n’avaient pas encore retrouvé le courant. La région la plus durement affectée restait la Capitale-Nationale, suivie des Laurentides, de la Mauricie, de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Mardi, un porte-parole d’Hydro-Québec, Cendrix Bouchard, expliquait qu’environ la moitié des interruptions affectaient dix clients ou moins.

«C’est donc dire que chaque fois que l’on pose une action, on rétablit le service à moins de clients ces derniers jours. C’est pourquoi on voit les chiffres diminuer, mais moins rapidement qu’au cours des deux ou trois dernières journées», a-t-il affirmé.

Enfouir les fils

Normand Mousseau estime que la société d’État devrait envisager un programme pour enfouir graduellement ses lignes électriques aériennes, lorsqu’il est logique de le faire.

La province devrait également élaborer un «vrai plan de résilience» qui pourrait inclure l’installation de batteries puissantes dans certaines zones pour maintenir un peu d’électricité lorsqu’il y a des pannes, a-t-il indiqué.

Un rapport de la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, publié en décembre, a révélé que le service d’Hydro-Québec était devenu moins fiable. Mme Leclerc a aussi noté que la société d’État «n’est pas outillée adéquatement pour faire face au défi grandissant du vieillissement de ses actifs».

Le rapport a exposé que la durée moyenne des pannes avait augmenté de 63 % entre 2012 et 2021, lorsque les événements météorologiques majeurs étaient exclus.

Un plan de 800 millions $ lancé en 2020 pour réduire le nombre d’interruptions de service n’a été que partiellement réalisé, selon la vérificatrice générale.

La PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu, a soutenu lundi en point de presse que ce sont des conditions météorologiques extrêmes — et non des faiblesses du réseau — qui ont causé la perte d’électricité de centaines de milliers de Québécois au plus fort de la tempête qui a commencé dans la province le 23 décembre.

«Mettez n’importe quel équipement devant un vent de 120 km/h et on serait exactement dans la même situation», a-t-elle déclaré.

Hydro-Québec a également lancé un programme pour rattraper des années de retard d’entretien des infrastructures, notamment dans la coupe d’arbres et d’autres végétaux à proximité des lignes.

Perte de confiance

Yves St-Laurent habite avec sa femme et ses trois enfants à Stoneham-et-Tewkesbury, qui se trouve à environ 35 minutes de voiture au nord de Québec. Il a d’abord perdu l’électricité le 23 décembre, avant d’être rebranché deux jours plus tard. Malgré ce cadeau arrivé à temps pour Noël, une autre panne, cette fois d’une durée de 36 heures, est venue compliquer sa vie.

En entrevue avec La Presse Canadienne, M. St-Laurent a affirmé avoir «complètement perdu confiance en Hydro-Québec».

«Je vis ici depuis 12 ans. Chaque fois qu’il y a une tempête et du vent, été comme hiver, on perd l’électricité», a-t-il déploré.

Pour le professeur au Département de génie électrique et informatique à l’Université McGill François Bouffard, les opérations de rétablissement du courant démontrent un problème de «logistique» pour Hydro-Québec qui, comme de nombreux secteurs de l’économie québécoise, est aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre qualifiée.

Dans les derniers jours, ce problème a probablement été aggravé par les vacances des Fêtes et le fait que les autres provinces, qui auraient normalement envoyé des travailleurs pour aider le Québec, ont également été touchées par la tempête.

M. Bouffard a rappelé que le Québec compte plus de lignes électriques aériennes que d’autres provinces, comme l’Ontario, et que de nombreuses lignes de transmission se trouvent dans des endroits difficiles d’accès.

Si l’on veut être résilients, «il faut enterrer», a déclaré M. Bouffard. Il a toutefois reconnu que l’enfouissement des lignes coûte cher et que le coût serait principalement assumé par les contribuables et les municipalités.

Sous-investissements   

Le rapport de la vérificatrice générale montrait clairement qu’Hydro-Québec avait sous-investi dans l’entretien de ses équipements, a souligné M. Mousseau.

Il croit que la société d’État a utilisé les coûts comme excuse pour résister à l’enfouissement des lignes électriques. Hydro-Québec devrait profiter de l’occasion pour enterrer les lignes au moment de travaux de réfection des routes, a-t-il ajouté.

Cependant, le gouvernement a aussi sa part de responsabilité, évoque le professeur. Québec ne dispose pas de stratégies globales d’atténuation et de gestion de crise qui protégeraient les citoyens lors des pannes.

De plus, le gouvernement provincial et les municipalités ont le devoir de mieux planifier l’aménagement du territoire pour réduire l’étalement urbain et ainsi garantir que les infrastructures électriques sont plus faciles d’accès pour les équipes, a-t-il estimé.

Également, M. Mousseau avance que le ministère de la Sécurité publique pourrait élaborer un plan plus détaillé pour fournir de l’électricité et du chauffage de secours aux gens.

Selon lui, il appartient aux municipalités, au gouvernement et à Hydro-Québec de se concerter et d’élaborer une véritable stratégie pour s’assurer que les Québécois ne sont pas laissés dans le noir et le froid.

— Avec des informations de Marisela Amador