Une première depuis 2014: aucune frégate canadienne dans les forces de l’OTAN

OTTAWA — Pour la première fois en huit ans, des navires de guerre canadiens ne participent à aucun des deux «groupes maritimes permanents de l’OTAN» chargés de patrouiller les eaux européennes et de se défendre contre les menaces russes.

Selon des observateurs et des experts, cette absence met en lumière les compromis croissants que doit faire le Canada avec la Marine royale canadienne, aux prises avec une flotte réduite de navires vieillissants et avec un manque de marins qualifiés.

Depuis l’annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014, le Canada a toujours fait partie des groupes maritimes permanents de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Il a toujours déployé au moins une frégate de classe Halifax dans l’Atlantique Nord ou la Méditerranée, en rotation.

En mars dernier, dans le cadre de sa réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le gouvernement libéral s’était fait un devoir de déployer une deuxième frégate dans la région. Ce navire devait à l’origine être déployé pendant plusieurs mois dans l’océan Indien et au Moyen-Orient.

Mais la porte-parole au ministère de la Défense Jessica Lamirande a admis que le Canada n’avait déployé aucune frégate au sein de l’un ou l’autre des groupes maritimes de l’OTAN, depuis que le NCSM Montréal et le NCSM Halifax sont rentrés à leur port d’attache le 15 juillet, à Halifax. «C’est la première fois que cela se produit depuis 2014», a confirmé Mme Lamirande dans un courriel. 

La porte-parole a lié la décision de ne pas envoyer de nouvelles frégates en Europe au déploiement de deux de ces navires dans la région Asie-Pacifique, ainsi qu’aux besoins de maintenance et de formation de la flotte de navires de classe Halifax.

Le Canada a plutôt déployé deux petits navires de défense côtière de classe Kingston pour travailler avec un autre groupe maritime de l’OTAN, qui se concentre sur la recherche des mines ennemies et le déminage.

Ressources limitées

Le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre, a déclaré que cela permettra aux marins canadiens d’acquérir de l’expérience dans un domaine important de la guerre navale, tout en montrant l’engagement du Canada envers la sécurité européenne.

Mais dans une entrevue avec La Presse Canadienne, lundi, il a concédé que les ressources étaient limitées et que l’état-major devait prendre des décisions sur le moment et l’endroit des engagements canadiens. 

Il a ajouté qu’il approuvait la décision d’envoyer deux frégates dans le Pacifique, où les tensions entre l’Occident et la Chine augmentent, «parce que nous voulons délibérément accroître notre présence en Asie-Pacifique, puisque nous sommes une nation du Pacifique».

La Chine a lancé la semaine dernière un exercice militaire massif autour de Taïwan, l’île autonome que Pékin considère comme son territoire, après la visite à Taipei de la présidente de la Chambre des représentants aux États-Unis, Nancy Pelosi. L’exercice s’est déroulé au milieu des craintes croissantes d’une éventuelle invasion chinoise.

L’expert en construction navale de l’Université de Calgary Timothy Choi estime que la décision d’envoyer deux frégates en Europe, en même temps, plus tôt cette année, a joué un rôle important en limitant la capacité de la flotte atlantique à déployer à court terme une autre frégate.

«À mon avis, ça ne signifie pas que la disponibilité des navires et des équipages s’est détériorée au cours des dernières années: ce sont plutôt les conséquences inévitables de forcer une petite flotte à concentrer plus de ressources dans un laps de temps plus court, ce qui se traduit par plus de temps nécessaire pour récupérer», dit-il. 

Difficiles à réparer

Mais l’analyste de la défense David Perry, de l’Institut canadien des affaires mondiales, a prédit que le Canada devra faire des compromis de plus en plus difficiles quant à l’endroit où déployer ses navires de guerre, compte tenu de la taille et de l’état de sa marine.

Alors que la flotte militaire canadienne compte 12 frégates, M. Perry estime que les besoins de maintenance et de formation de la marine signifient que quelques navires seulement peuvent être déployés à un moment donné. Le Canada avait également trois destroyers, mais ces navires ont été retirés en 2014.

Sans compter l’âge croissant des frégates, qui sont entrées en service dans les années 1990 et deviennent de plus en plus difficiles à réparer et à entretenir, selon les officiers supérieurs et les rapports internes.

Adam MacDonald, un ancien officier de marine qui étudie maintenant à l’Université Dalhousie, à Halifax, croit que la Marine royale canadienne et les Forces armées canadiennes devraient également faire face à des pressions croissantes pour maintenir une présence en Europe, en Asie et dans l’Arctique, «car il va y avoir des demandes dans ces trois régions» — en plus des régions où le Canada est déjà présent: les Antilles, l’Afrique de l’Ouest et l’Amérique du Sud, dit-il.

Le gouvernement fédéral supervise la construction d’une nouvelle flotte de navires militaires pour remplacer les frégates et les destroyers, mais le projet de plusieurs milliards de dollars a connu des dépassements de coûts et des retards répétés.

Et la marine, comme le reste de l’armée, fait également face à une grave pénurie de personnel.

Entre-temps, M. MacDonald prédit que les dragueurs de mines de la classe Kingston seront très sollicités, à mesure que la Marine royale canadienne fait face à des demandes croissantes à l’étranger.