Des enfants meurent de faim dans la bande de Gaza

RAFAH, Palestine — Les bombes israéliennes ne sont pas les seules à avoir tué des enfants dans la bande de Gaza ravagée par la guerre : certains meurent désormais de faim.

Les autorités mettent depuis longtemps en garde contre le risque de famine dans le territoire palestinien qui subit les bombardements, les offensives et le siège d’Israël depuis cinq mois.

C’est dans le nord de Gaza, isolé par les forces israéliennes, que la faim est la plus aiguë et que les livraisons de denrées alimentaires ont été interrompues pendant de longues périodes. Selon le ministère de la Santé, au moins vingt personnes sont mortes de malnutrition et de déshydratation dans les hôpitaux Kamal Adwan et Shifa, dans le nord de la bande de Gaza. La plupart des morts sont des enfants, dont certains n’ont pas plus de 15 ans, ainsi qu’un homme de 72 ans.

Des enfants particulièrement vulnérables commencent également à succomber dans le sud, où l’accès à l’aide est pourtant plus régulier.

À l’hôpital Emirati de Rafah, seize bébés prématurés sont morts de causes liées à la malnutrition au cours des cinq dernières semaines, a déclaré l’un des médecins principaux à l’Associated Press.

«Les décès d’enfants que nous redoutions sont là», a déclaré Adele Khodr, responsable de l’UNICEF pour le Moyen-Orient, dans un communiqué publié en début de semaine.

La malnutrition est généralement lente à entraîner la mort, frappant d’abord les enfants et les personnes âgées. D’autres facteurs peuvent jouer un rôle. Les mères sous-alimentées ont des difficultés à allaiter leurs enfants. Les maladies diarrhéiques, très répandues à Gaza en raison du manque d’eau potable et d’assainissement, font que plusieurs enfants sont incapables de retenir les calories qu’ils ingèrent, a expliqué Anuradha Narayan, une experte de l’UNICEF en matière de nutrition infantile. La malnutrition affaiblit le système immunitaire, entraînant parfois la mort par d’autres maladies.

Israël a largement fermé l’entrée de la nourriture, de l’eau, des médicaments et d’autres fournitures après avoir lancé son assaut sur Gaza à la suite de l’attaque du Hamas sur le sud d’Israël le 7 octobre, n’autorisant qu’un filet de camions d’aide à travers deux points de passage dans le sud.

Israël a imputé la faim croissante à Gaza aux agences de l’ONU, affirmant qu’elles ne distribuent pas les fournitures qui s’accumulent aux points de passage de la bande de Gaza. L’UNRWA, la plus grande agence de l’ONU à Gaza, réplique qu’Israël restreint certaines marchandises et impose des inspections fastidieuses qui ralentissent l’entrée.

En outre, la distribution à l’intérieur de la bande de Gaza a été paralysée. Les fonctionnaires de l’ONU affirment que les convois sont régulièrement refoulés par les forces israéliennes; que l’armée refuse souvent un passage sûr au milieu des combats; et que l’aide est arrachée aux camions par des Palestiniens affamés en route vers les points de chute.

Face à l’inquiétude croissante, Israël a cédé à la pression américaine et internationale en déclarant cette semaine qu’il ouvrirait des points de passage pour l’aide directement dans le nord de Gaza et autoriserait les expéditions par voie maritime.

NAVIRE D’AIDE

Un navire se préparait ainsi vendredi à quitter Chypre pour se rendre à Gaza avec de l’aide humanitaire, a annoncé la présidente de la Commission européenne, alors que les donateurs internationaux lancent un corridor maritime pour approvisionner le territoire assiégé.

Le navire, qui appartient à la compagnie espagnole Open Arms, effectuera un voyage pilote pour tester le corridor, a déclaré Ursula von der Leyen à la presse à Chypre, où elle inspecte les préparatifs du corridor maritime. Le navire attend au port chypriote de Larnaca l’autorisation de livrer de l’aide alimentaire de World Central Kitchen, une organisation caritative américaine fondée par le célèbre chef José Andrés.

Israël a déclaré vendredi qu’il se félicitait de l’ouverture du corridor maritime, tout en précisant qu’il nécessiterait également des contrôles de sécurité.

L’Union européenne, les États-Unis, les Émirats arabes unis et d’autres pays participant à l’effort lancent la route maritime en réponse à la «catastrophe humanitaire» qui se déroule à Gaza, a déclaré Mme Von der Leyen lors d’une conférence de presse avec le président chypriote Nikos Christodoulides.

Le navire partira pour Gaza samedi, a indiqué M. Christodoulides à l’Associated Press.

DÉSESPOIR DANS LE NORD

Les conditions dans le nord, largement sous contrôle israélien depuis des mois, sont devenues désespérées. Des quartiers entiers de la ville de Gaza et des zones environnantes ont été réduits en ruines par les forces israéliennes. Pourtant, des centaines de milliers de Palestiniens restent sur place.

La viande, le lait, les légumes et les fruits sont pratiquement introuvables, selon plusieurs habitants qui ont parlé à l’AP. Les quelques articles qui se trouvent dans les magasins sont aléatoires et vendus à des prix exorbitants ― principalement des noix, des collations et des épices. Des gens ont pris des tonneaux de chocolat dans les boulangeries et en vendent de minuscules morceaux.

La plupart des gens mangent une mauvaise herbe qui pousse dans les terrains vagues, appelée «khubaiza». Fatima Shaheen, une septuagénaire qui vit avec ses deux fils et leurs enfants dans le nord de la bande de Gaza, a indiqué que la khubaiza bouillie constituait son principal repas, et que sa famille avait également broyé de la nourriture destinée aux lapins pour l’utiliser comme farine.

«Nous mourons pour un morceau de pain», a déclaré Mme Shaheen.

Qamar Ahmed a dit que sa fille Mira, âgée de 18 mois, se nourrit essentiellement d’herbes bouillies. «Il n’y a pas de nourriture adaptée à son âge», a dénoncé Qamar Ahmed, chercheur à l’Euro-Med Human Rights Monitor et journaliste économique. Son père, âgé de 70 ans, donne sa propre nourriture au jeune fils d’Ahmed, Oleyan. «Nous essayons de le faire manger et il refuse», a révélé Ahmed à propos de son père.

Mahmoud Shalaby, qui vit dans le camp de réfugiés de Jabaliya, raconte qu’il a vu un homme au marché donner un sac de croustilles à ses deux fils et leur dire de s’en servir pour le petit-déjeuner et le déjeuner. «Tout le monde sait que j’ai perdu du poids», a déclaré M. Shalaby, directeur de programme pour le groupe d’aide Medical Aid for Palestinians dans le nord de la bande de Gaza.

Le docteur Husam Abu Safiya, directeur par intérim de l’hôpital Kamal Adwan, a indiqué à l’AP que son personnel soignait actuellement 300 à 400 enfants par jour et que 75 % d’entre eux souffraient de malnutrition.

Les récents largages aériens d’aide par les États-Unis et d’autres pays fournissent des quantités d’aide bien inférieures aux livraisons par camion, qui sont devenues rares et parfois dangereuses. L’UNRWA affirme que les autorités israéliennes ne l’ont pas autorisé à livrer de l’aide au nord depuis le 23 janvier. L’Organisation mondiale de l’alimentation, qui avait interrompu ses livraisons pour des raisons de sécurité, a révélé que l’armée avait forcé son premier convoi vers le nord en deux semaines à faire demi-tour mardi.

Lorsque l’armée israélienne a organisé une livraison de nourriture à Gaza la semaine dernière, les troupes qui gardaient le convoi ont ouvert le feu ― en raison d’une menace perçue, selon l’armée ― alors que des milliers de Palestiniens affamés se ruaient sur les camions. Quelque 120 personnes ont été tuées dans la fusillade, ainsi que piétinées dans le chaos.

AGGRAVATION DANS LE SUD

Yazan al-Kafarna, 10 ans, est mort lundi après près d’une semaine de traitement infructueux à Rafah, la ville la plus méridionale de Gaza. Des photos du garçon le montrent extrêmement émacié, avec des membres semblables à des brindilles et des yeux profondément enfoncés dans un visage ratatiné jusqu’au crâne.

Le garçon est né avec une infirmité motrice cérébrale, une maladie neurologique qui affecte la motricité et peut rendre la déglutition et l’alimentation difficiles. Ses parents ont affirmé avoir eu du mal à trouver de la nourriture qu’il pouvait manger, notamment des fruits mous et des œufs, depuis qu’ils ont fui leur maison dans le nord du pays.

Selon le docteur Jabr al-Shair, chef du service des urgences pédiatriques de l’hôpital Abu Youssef Najjar, il est décédé en raison d’une déperdition musculaire extrême due principalement au manque de nourriture.

Un jour récent, environ 80 enfants souffrant de malnutrition se sont entassés dans les services de l’hôpital. Aya al-Fayoume, une mère de 19 ans déplacée à Rafah, avait amené sa fille de 3 mois, Nisreen, qui a perdu beaucoup de poids au cours des mois d’hiver, souffrant de diarrhées et de vomissements persistants. Avec son régime alimentaire composé essentiellement de conserves, Mme al-Fayoume dit qu’elle ne produit pas assez de lait maternel pour Nisreen.

«Tout ce dont j’ai besoin est cher ou indisponible», a-t-elle déclaré.

Les réserves de nourriture fraîche à Rafah ont diminué, alors que la population a augmenté de plus d’un million d’habitants déplacés. Les principales denrées disponibles sont les conserves, qui se trouvent souvent dans les colis d’aide.

À l’hôpital Emirati, le docteur Ahmed al-Shair, chef adjoint de l’unité de pouponnière, a déclaré que les récents décès de bébés prématurés étaient dus à la malnutrition des mères. La malnutrition et le stress extrême sont tous deux des facteurs de prématurité et d’insuffisance pondérale à la naissance, et les médecins affirment que les cas ont augmenté pendant la guerre, bien que l’ONU ne dispose pas de statistiques.

Le docteur Al-Shair explique que les bébés prématurés sont traités pendant plusieurs jours pour améliorer leur poids. Ils sont ensuite renvoyés chez eux, souvent dans une tente insuffisamment chauffée, avec des mères trop mal nourries pour allaiter et du lait difficile à obtenir. Les parents donnent parfois aux nouveau-nés de l’eau qui est souvent impure et provoque des diarrhées.

Au bout de quelques jours, les bébés «nous sont ramenés dans un état épouvantable. Certains sont déjà morts», a décrié le médecin. Il a indiqué que quatorze bébés de l’hôpital sont morts en février et deux autres jusqu’à présent en mars.

Actuellement, les services de l’hôpital comptent 44 bébés de moins de dix jours dont le poids n’excède pas deux kilos, certains étant sous assistance respiratoire. Chaque couveuse contient au moins trois prématurés, ce qui augmente le risque d’infection. M. Al-Shair a prévenu qu’il craignait que certains connaissent le même sort une fois rentrés chez eux.

«Nous les soignons aujourd’hui, mais Dieu seul sait de quoi l’avenir sera fait», a-t-il déclaré.