À bout de souffle, les centres de traitement des dépendances appellent à l’aide

MONTRÉAL — La fermeture imminente du Pavillon Hamford, à Lachute dans les Laurentides, fait craindre le pire à d’autres centres privés de traitement des dépendances, qui réclament depuis plusieurs années un ajustement de leur financement pour assurer leur survie.

Confirmation faite auprès du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides, le certificat de conformité du Pavillon Hamford a été révoqué le 20 février dernier. Le tout entre en vigueur le 24 février; ce faisant, les 23 résidants qui y suivaient une thérapie doivent être relocalisés dans d’autres centres de traitement.

«Le maintien des conditions de certification du Pavillon Hamford demeure un enjeu récurrent depuis plusieurs années, pour différentes raisons», a indiqué dans un courriel Julie Lacasse, conseillère en communication pour le CISSS.

Ces enjeux concernent entre autres la salubrité des lieux, qui seraient «mal chauffés et présentant des risques de moisissures», la qualité des soins et services, «dont des écarts sérieux dans l’application du protocole pharmaceutique», de même que des enjeux de gouvernance dont la nature n’a pas été précisée.

En septembre 2020, le Pavillon Hamford avait perdu une première fois son certificat de conformité, notamment en raison de problématiques liées à la sécurité des résidants, des manquements éthiques et une problématique récurrente de punaises de lit. La direction de l’établissement avait tenté d’obtenir un sursis devant le tribunal administratif. Une entente était survenue in extremis pour éviter la fermeture de l’établissement, qui devait toutefois donner un coup de barre pour se conformer aux standards établis par le CISSS.

La demande d’entrevue de La Presse Canadienne auprès de la coordination du Pavillon Hamford est demeurée lettre morte.

Hécatombe

La fermeture du Pavillon Hamford est la dernière en lice de ce que le milieu du traitement des dépendances considère comme une «hécatombe».

En octobre 2021, la Maison l’Exode, à Montréal, a été contrainte de fermer l’un de ses pavillons pour une période indéterminée. En mai de la même année, la Maison Face à l’avenir, à l’Assomption, avait fermé ses portes, faute de trouver un nouvel emplacement pour y tenir ses activités. La Maison Jean Lepage, à Trois-Rivières, a aussi cessé son service d’hébergement.

En juillet 2019, le centre L’Appel, situé à Lévis, a aussi fermé ses portes pour des raisons financières.

En 2016, la fermeture annoncée du Centre Mélaric, à Saint-André-d’Argenteuil, dans les Laurentides, avait fait couler beaucoup d’encre. Un financement de la dernière heure et la prise en charge par le commandant Robert Piché avaient permis de sauver l’établissement, qui aura toutefois cessé définitivement ses activités l’année suivante. Son taux d’occupation trop bas avait plombé le financement public auquel le centre avait droit. C’est le Pavillon Hamford qui avait alors accueilli ses pensionnaires.

Un autre centre de traitement des dépendances, L’Inter-Mission, situé à Saint-Hyacinthe en Montérégie, fermera ses portes à la fin mars, a-t-on pu valider auprès de la direction.

«D’autres centres se retrouvent dans une situation très précaire, souligne Vincent Marcoux, directeur général de l’Association québécoise des centres d’intervention en dépendance (AQCID). Quand on parle de fermeture, c’est dû soit à un manque de fonds, soit à une incapacité des organismes à maintenir leur certification en raison d’un manque de fonds. C’est l’œuf ou la poule.»

Le nombre de lits nécessaires pour répondre aux besoins en désintoxication est de 2600 au Québec, dont 2400 sont gérés par des organismes privés, ajoute M. Marcoux. Or, comme les résidants des centres qui ferment leurs portes sont relocalisés dans d’autres établissements, la diminution du nombre de lits a entraîné au sein de nombreux centres toujours en activité des listes d’attente pouvant aller actuellement jusqu’à deux mois.

«Mais quand tu veux rentrer en thérapie, c’est tout de suite, nuance Nicolas Bédard, président du conseil d’administration du Centre L’Envolée situé à Shefford, en Montérégie. Tu ne peux pas attendre aussi longtemps.»

Sous-financement décrié

Ces fermetures sont principalement causées par un manque de financement récurrent permettant aux établissements de faire face à la demande croissante. Résultat: les centres privés ont du mal à attirer et à retenir du personnel qualifié de même qu’à suivre les normes qui leur permettent de maintenir leur certificat de conformité.

«On n’est pas capables de suivre les salaires du réseau de la santé, affirme Nicolas Bédard. [Le public] engage des gens qui sortent du cégep à 30 $ de l’heure. On n’est pas capables de suivre.»

«C’est difficile de suivre et de compétitionner avec les salaires offerts au public, estime aussi Danica Bourque, vice-présidente de la Coalition des organismes communautaires en dépendance (COCD). Ce qui arrive, c’est qu’on embauche des étudiants, on les forme et ensuite, ils s’en vont dans les CISSS parce qu’ils peuvent y obtenir de meilleures conditions.»

La pandémie, la crise des opioïdes, l’itinérance et les problématiques en santé mentale ont fait croître la demande. Or, les intervenants en sont réduits à refuser des admissions.

«Ça fait peur, souligne Mme Bourque. C’est tout le temps la même histoire, on n’arrive pas à avoir assez de financement pour répondre aux besoins.»

Mme Bourque, également directrice des Centres Beauséjour, indique que le financement gouvernemental a été reconduit il y a plus d’un an et jusqu’à 2024, mais que dans certains centres, les contrats se font toujours attendre. «On ne sait pas comment l’argent est distribué», déplore-t-elle.

En 2021, l’AQCID estimait à 25 millions $ annuellement l’aide gouvernementale récurrente nécessaire pour assurer la qualité et le maintien des services en traitement des dépendances. «Le financement est renouvelé depuis des années, mais il n’y a pas eu de révision du cadre financier, qui est aujourd’hui inadéquat, explique Vincent Marcoux. On reçoit toujours des petites grenailles qui font en sorte que l’organisme peut respirer un peu, mais pas assez pour qu’il soit fonctionnel.»

Il indique, par exemple, que les centres de traitement reçoivent un montant quotidien par pensionnaire. Ainsi, les établissements doivent être constamment pleins pour toucher de l’aide financière. De plus, celle-ci est octroyée pour les usagers vivant de l’aide sociale, stipule M. Marcoux. Ce faisant, les travailleurs et les chômeurs doivent débourser pour leur thérapie, ce qui crée une iniquité dans l’accès aux soins.

Rencontre demandée avec le ministre Carmant

Les organismes privés de traitement des dépendances souhaitent une rencontre avec le ministre responsable de leur dossier, Lionel Carmant, depuis plusieurs mois. Ils espèrent que Québec sera au rendez-vous et à l’écoute cette fois-ci.

«On a besoin d’être entendus, poursuit Mme Bourque. On ne sait pas du tout l’an prochain à quoi notre financement va ressembler, mais il doit être bonifié parce que la situation est en train de devenir très difficile pour certains centres.

«Souvent, [le ministère] s’y prend à la dernière minute et nous dit qu’il n’a pas eu assez de temps pour revoir notre financement, ajoute la directrice. On aimerait ça s’y prendre d’avance pour une fois.»

Le cabinet du ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, n’a pas donné suite aux demandes d’entrevue de La Presse Canadienne.

———

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.