Étudier le cerveau des pilotes pour mieux comprendre celui des astronautes

MONTRÉAL — Le cerveau des pilotes de chasse semble traiter les informations sensorimotrices plus efficacement que celui du commun des mortels, démontre ce qui pourrait être la toute première étude en son genre.

L’objectif des chercheurs belges était d’étoffer les informations dont on dispose au sujet des changements que subit le cerveau des astronautes en apesanteur. Comme il est plus facile de recruter des pilotes de chasse que des astronautes, ils ont soumis dix pilotes de F-16 provenant de l’armée de l’air belge à un examen d’imagerie par résonance magnétique et ont comparé les résultats à ceux de civils.

«Il y a plusieurs astronautes qui sont des pilotes de chasse et plusieurs astronautes qui ne sont pas des pilotes de chasse, alors c’est très intéressant de voir les différences entre les deux», a commenté Perry Johnson-Green, le scientifique principal, sciences physiques et de la vie, de l’Agence spatiale canadienne.

En plus d’une connectivité accrue dans la région du cerveau responsable du traitement des informations sensorimotrices (c’est-à-dire les procédés cérébraux responsables des réponses motrices dans le système nerveux central), les chercheurs de l’Université d’Anvers ont constaté une plus grande connectivité dans les régions frontales du cerveau qui participent vraisemblablement aux tâches cognitives complexes requises par le pilotage d’un appareil sophistiqué.

Une plus grande connectivité a aussi été mesurée dans les régions du cerveau qui traitent les informations visuelles et les informations vestibulaires ― celles qui concernent le mouvement, la position de la tête et l’orientation spatiale.

«On ne comprend pas très bien le rôle de l’information visuelle par rapport à l’information vestibulaire (dans l’espace), a dit M. Johnson-Green. Alors, c’est très pertinent.»

L’Agence spatiale canadienne et l’Université de Calgary collaborent d’ailleurs actuellement à une étude pour essayer de mieux comprendre comment les astronautes s’orientent à bord de la Station spatiale internationale, a-t-il ajouté, mais les résultats ne sont pas encore disponibles.

Les chercheurs belges ont vu des différences non seulement entre les pilotes et les civils, mais aussi entre les pilotes très expérimentés et ceux qui l’étaient un peu moins. Cela pourrait vouloir dire que la connectivité de certaines régions du cerveau se développe au fur et à mesure que les pilotes acquièrent de l’expérience.

Des études précédentes avaient révélé que le cerveau des astronautes subit des changements non seulement pendant leur séjour dans l’espace, mais tout au long de leur formation, un phénomène appelé plasticité neuronale. 

Par exemple, une étudie publiée l’an dernier dans Frontiers in Neural Circuits par la même équipe témoignait de changements microscopiques à la matière blanche du cerveau des astronautes, celle qui est responsable non seulement des communications à l’intérieur du cerveau, mais aussi des communications entre le cerveau et le reste du corps.

Une autre étude, celle-là parue en mai dernier dans les pages de Scientific Reports, révélait une augmentation du volume des espaces dans lesquels le liquide céphalorachidien circule dans le cerveau, mais uniquement chez les astronautes qui rentraient d’un premier séjour dans l’espace. Ce volume restait stable (ou diminuait un peu) chez les astronautes expérimentés.

Ces espaces font partie d’un système dont le rôle est d’évacuer des protéines qui s’accumuleraient autrement dans le cerveau. Sur Terre, leur élargissement a été associé au développement de troubles neurodégénératifs comme la maladie d’Alzheimer.

Des chercheurs avaient enfin publié, en 2016, une étude qui révélait que le volume de matière grise augmente ou diminue dans différentes régions du cerveau des astronautes. Ces changements étaient proportionnels à la durée du séjour dans l’espace.

Les mêmes chercheurs belges que ceux qui signent la nouvelle étude avaient démontré que certains changements demeurent mesurables plusieurs mois après le retour sur Terre des astronautes.

Mieux comprendre tous ces changements est crucial au moment où l’humanité envisage l’implantation d’une base permanente sur la Lune et de longues missions spatiales vers la planète Mars.

«On sait qu’il y a des risques qui sont liés à l’isolement des astronautes pendant ces missions qui seront très longues, a dit M. Johnson-Green. Il y a beaucoup de risques qu’on ne comprend pas encore très bien au sujet du fonctionnement du cerveau et du comportement des astronautes dans ce contexte, pour la performance, mais aussi pour la santé mentale.»

La radiation intense présente dans l’espace pourrait également interférer avec la performance des astronautes en affectant leurs cellules, a-t-il rappelé.

Les conclusions de cette étude, qui pourrait aussi mener à l’élaboration de meilleures formations pour les pilotes et les astronautes, ont été publiées par le journal médical Frontiers in Physiology.