Un projet par les jeunes pour les jeunes vise à recruter des vigies en santé mentale

MONTRÉAL — Plusieurs jeunes Québécois n’ont pas le luxe de profiter de l’insouciance de l’enfance et de l’adolescence : ils sont proches aidants d’un parent aux prises avec un problème de santé mentale. Pour leur venir en aide, un projet par les jeunes, pour les jeunes, vise à former des volontaires qui pourront repérer la détresse de leurs pairs, et les référer aux ressources appropriées. 

Le «Réseau avant de craquer», un organisme à but non lucratif, a reçu 150 000$ de la part de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) pour mettre sur pied le projet «Aider sans filtre, pour les jeunes, avec les jeunes», destiné aux proches aidants de 12 à 29 ans. 

Déjà, le Réseau avait chargé 35 jeunes de parcourir le Québec pour sensibiliser les jeunes aux enjeux de santé mentale, mais désormais, ils seront responsables de trouver de jeunes vigies en santé mentale. Ces «vigies», recrutées sur une base volontaire, obtiendront une formation afin de repérer les jeunes proches aidants d’un parent ayant un problème de santé mentale dans leur entourage, et de les référer à un organisme communautaire ou au réseau de la santé, si besoin. 

«Ce qu’on a constaté dans les dernières années, c’est que les jeunes viennent très peu chercher de services pour plusieurs raisons», explique René Cloutier, directeur général du Réseau. L’organisme estime qu’un jeune sur cinq soutient un parent, une sœur, un frère ou un ami ayant un problème de santé mentale, au Québec. 

«On sait qu’actuellement, ces jeunes-là passent sous le radar», poursuit M. Cloutier, disant espérer que des centaines, voire des milliers de jeunes vigies soient recrutées dans les prochains mois.

Le Réseau, qui regroupe une cinquantaine d’associations offrant du soutien psychosocial, remarque que des préjugés et de la stigmatisation demeurent en ce qui concerne la santé mentale, ce qui rend plus difficile pour les jeunes de se confier à un adulte. 

«C’est pour ça qu’on a mis en place un projet qui est réalisé pour les jeunes, mais avec des jeunes», indique M. Cloutier. Le groupe d’intervenants se déplacera notamment dans les écoles, les maisons des jeunes et les clubs sportifs. 

L’organisme remarque que les jeunes proches aidants sont plus à risque de développer eux-mêmes des problèmes de santé mentale. 

«Ces jeunes-là vivent plus de détresse psychologique, et sont 15 à 20 fois plus à risque de développer eux-mêmes un trouble de santé mentale (que les jeunes qui ne sont pas proches aidants), dû souvent à leur détresse psychologique face à la situation qu’ils vivent», affirme M. Cloutier. 

Dre Annie Loiseau, pédopsychiatre et présidente du comité de la psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence à l’Association des médecins psychiatres du Québec, explique que, souvent, lorsqu’un parent ne va pas bien, leur enfant en souffre pour plusieurs raisons. 

«Il va s’en faire pour son parent, mais aussi parce que le parent est moins disponible pour son jeune (notamment) dans ses réactions émotionnelles, il va des fois être plus irritable, et se fâcher plus rapidement, donc ça entraine un peu plus de conflits. Ou même (avoir moins de) disponibilités si le jeune a besoin lui-même de ventiler sur une situation qu’il vit», détaille la Dre Loiseau, qui intervient auprès des enfants et des adolescents. 

Lorsqu’un parent est épuisé en raison d’un problème de santé mentale, il va parfois offrir moins d’encadrement à son enfant, ce qui peut engendrer des troubles de comportements chez le jeune, souligne la pédopsychiatre. 

Outre le facteur génétique, plusieurs aspects expliquent qu’un jeune proche aidant d’un parent ayant un problème de santé mentale est plus à risque d’en développer un lui-même. 

«De par les impacts au quotidien de la maladie mentale sur le milieu familial dans lequel le jeune évolue, c’est sûr que ça peut faire un milieu plus à risque de développer ce genre de chose, parce qu’un jeune qui vit beaucoup de ‘stresseurs’, ou qui est moins soutenu par son réseau social, est plus à risque de développer ou d’avoir un problème de santé mentale plus grave», détaille la Dre Loiseau. 

Elle salue donc la mise en place du projet du Réseau avant de craquer. 

«Pour les adolescents, le réseau social est super important, puis les amis prennent une place très importante pour eux au fur et à mesure qu’ils se développent dans leur adolescence. Donc, je pense que les autres jeunes sont les mieux placés pour détecter si quelque chose se passe dans la vie de leurs amis», déclare-t-elle. 

Cependant, encore faut-il que les jeunes référés à des ressources puissent être pris en charge. 

«Ce que je trouve important, c’est que si on oriente le jeune vers les bonnes ressources, que les services soient au rendez-vous, parce que je trouve que c’est souvent là où le bât blesse actuellement», dit la Dre Loiseau.