Non à l’éolien industriel en milieu habité
LETTRE OUVERTE. Mon nom est Claude Charron, j’habite à Saint-Ferdinand, Centre-du-Québec, au milieu d’une centrale industrielle d’énergie éolienne qui n’est ni un parc ni un jardin.
Je suis entouré de 19 éoliennes éloignées de 1 à 4 km sur les 50 éoliennes dispersées sur le territoire. Ces structures de 450 pieds de hauteur qui bougent et émettent des bruits lorsqu’il vente ont remplacé les paysages patrimoniaux familiers et exceptionnels que les gens trouvaient beaux.
Au cours des siècles, le milieu rural québécois a connu plusieurs transitions et, plus récemment, dans le but de contrer diverses agressions sur le garde-manger des Québécois et de concilier les divers conflits d’usage, plusieurs propositions légales ont été adoptées en tout ou en partie. La loi sur la Protection du territoire agricole, le rapport Pronovost, la Politique nationale de la ruralité et les schémas d’aménagement ont fait en sorte qu’une relative harmonie s’est installée permettant une occupation saine du territoire. Un vivre-ensemble qui demeure à ce jour une réalisation remarquable. Chaque municipalité rurale, en visitant leur site, vante la beauté de ses paysages, l’importance de son patrimoine bâti, le dynamisme de ses citoyens et la qualité de vie de son milieu.
Dans de telles conditions, l’annonce d’un éventuel projet d’éoliennes industrielles en milieu rural a souvent l’effet d’une bombe quant à la mesure de l’agression. La division sociale s’installe rapidement alors que les promoteurs, forts de leurs contrats avec les propriétaires terriens, mettent de la pression sur les élus pour adopter rapidement des règlements calqués sur les besoins de leurs projets. Les camps se dressent, deux systèmes de valeurs s’affrontent : garnir les coffres de la municipalité ou sauver le patrimoine et la qualité de vie. La polarisation fait son œuvre; fini l’entraide légendaire entre voisins, des amitiés sont brisées, des familles déchirées, les élus pris à partie, même dans la cour d’école les enfants s’affrontent.
Il y a une quinzaine d’années, plusieurs projets éoliens, rencontrant une forte opposition, ont été abandonnés (Côte-Nord, Bas-Saint-Laurent, Montérégie). Plusieurs autres malheureusement ont été enfoncés dans la gorge des citoyens. (Érable, Les Moulins Massif du Sud, Baie-des-Sables, etc.)
Après une relative accalmie, voilà que le gouvernement caquiste, lorsque dans l’opposition en 2014 demandait la fin de « l’aventure éolienne », fait un virage à 180 degrés et fonce tête première dans les mêmes ornières que ses prédécesseurs. Le Québec a besoin d’énergie propre, il faut faire vite. Vite, mais pas nécessairement mieux.
Les projets proposés pour le Centre-du-Québec, dont le projet de Boralex dans la MRC d’Arthabaska, comprennent des éoliennes d’une puissance de 4MW à 6MW avec une hauteur minimale de 650 pieds. Des dizaines de structures plus hautes que la Place Ville-Marie à Montréal et plus de 6 fois la hauteur du clocher du village. Une présence écrasante, une cicatrice dans le paysage qui change radicalement le cadre de vie des citoyens.
Toute personne résidant à moins de 2 km ne peut échapper aux bruits des éoliennes, une nuisance sonore reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celle-ci définit la santé comme un état de bien-être physique, mental et social. Dans ce contexte, « force est d’admettre que le syndrome des éoliennes, peu importent les symptômes, traduit une souffrance existentielle, voire une détresse psychologique, bref une atteinte de la qualité de vie qui, toutefois, ne concerne qu’une partie des riverains », conclut l’Académie Nationale de Médecine.
La nuit, certains riverains, dont je suis, peinent à dormir à cause du bruit des éoliennes : fermer les fenêtres, dormir au sous-sol, bruit blanc, on trouve des trucs pour atténuer, mais impossible de s’habituer.
Si les humains sont affectés à divers degrés, les animaux, très sensibles à toute perturbation de leur environnement, sont aussi incommodés par les bruits et infrasons; plusieurs cas de lactation et de gestation déficientes ont été rapportés chez les animaux d’élevage.
Une autre source de stress qui s’ajoute aux impacts psychosociaux concerne le patrimoine familial. Dès l’annonce d’un projet éolien, votre résidence perd de la valeur. Qui voudrait habiter au milieu de dizaines d’éoliennes industrielles? J’ai investi 30 000 $ au cours des trois dernières années sur ma résidence et pourtant j’ai été dévalué de 5%, je ne suis pas le seul, alors que la hausse moyenne de la valeur des propriétés à Saint-Ferdinand a été de 25%, faites le calcul, 30% de moins que la moyenne générale. Si vous avez la chance de vendre votre maison, assurez-vous d’y inclure une clause éolienne empêchant l’acheteur de vous poursuivre pour les impacts et les bruits des éoliennes. Lors des audiences du BAPE, nous avons demandé au promoteur s’il était prêt à signer une clause compensatoire plus 10% pour toute dévaluation des propriétés comme cela est obligatoire au Danemark; il a refusé.
Affirmer que les éoliennes feront partie du patrimoine paysager et vont attirer des touristes relève de la supercherie. Le patrimoine paysager, historique, traditionnel et culturel, familier aux citoyens disparaît sous les éoliennes. Les curieux partent au bout d’une heure pendant que les vrais touristes recherchent des endroits où il n’y a pas d’éoliennes, des endroits préservés et naturels où ils pourront se ressourcer.
Le promoteur Boralex se vantait d’avoir érigé ses éoliennes du projet de la Seigneurie de Beaupré loin des résidences. Qu’en est-il avec son projet dans Arthabaska? Ses actionnaires ont-ils pris plus d’importance que la qualité de vie et le bien-être des citoyens? Pour l’instant Kingsey Falls, fief de Boralex, échappe aux éoliennes. Ses observateurs étaient ici dans L’Érable pendant les audiences du BAPE en pleine crise sociale. N’ont-ils rien appris?
Je comprends que le gouvernement, Hydro-Québec et les promoteurs veulent sauver de l’argent, que les MRC, les municipalités et certains propriétaires terriens veulent garnir leur cagnotte. Il est ironique cependant de constater que nos décideurs, dont les élus de Victoriaville, berceau du développement durable, bafouent allègrement le premier principe de la loi sur le développement durable (Projet de loi no 118, 2006 chapitre 3) :
« les personnes, la protection de leur santé et l’amélioration de leur qualité de vie sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Les personnes ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».
Les principes de prévention, de précaution et de protection du patrimoine culturel, dont font partie les paysages, ne sont pas en reste. Devant l’appât du gain, plus aucun principe ne tient.
Les endroits au Québec où l’on peut cultiver de la nourriture et en même temps y résider, pas trop loin des services, sont précieux et recherchés et méritent d’être protégés. Plusieurs projets éoliens sont déjà implantés en territoire non organisé ou inhabité et n’ont suscité que très peu de controverse. Le Québec regorge d’endroits ou les gisements éoliens sont supérieurs en efficacité en plus d’être loin des habitations. En concentrant les éoliennes au lieu de les disperser, et avec un facteur d’utilisation supérieur, on pourrait compenser largement pour l’éloignement. Il sera toujours temps de redonner les profits aux communautés.
La multinationale Siemens avait proposé en 2005 un projet de 4,5 G $ pour fournir 3000 MW d’énergie éolienne à partir de la Baie-James et de la Manicouagan à un coût de 6 cennes/kWh, en plus d’installer au Saguenay son usine pour l’Amérique du Nord et inclure les turbiniers québécois. Le facteur d’utilisation à ces endroits est de 35% contrairement à 20-25% pour le Centre-du-Québec. On connaît la suite, Hydro-Québec va en appel d’offres pour 2000 MW à un coût moyen de 10.5 cennes/kWh et reconnaît en 2016 qu’il subira une perte de 23 milliards $ jusqu’en 2042 ( en sus des 2,7 milliards $ pour le branchement des éoliennes, les sous-stations et les nouvelles lignes).
L’implantation de la filière éolienne au Québec fut aussi chaotique qu’insensée, le plus étonnant est que l’on continue dans cette voie. En agissant ainsi, nos décideurs font très mauvaise presse à l’éolien et nuisent dangereusement à sa pérennité. Après 25 ans de controverse, il est temps de grandir et de redonner à l’éolien la place qui lui revient, c’est-à-dire pas en milieu habité comme d’autres pays l’ont compris (Allemagne, Angleterre, Danemark, etc.). Il est temps de mettre à profit le savoir des commissaires du Bureau des Audiences publiques (BAPE) qui, en 1997 pour le projet Le Nordais, recommandaient que « le premier parc éolien québécois ne devrait pas être implanté en milieu habité » (rapport du BAPE no 109) et en 2010 pour le projet de L’Érable concluaient que « le territoire est habité de façon extensive ce qui ne permet pas d’éloigner suffisamment les éoliennes des routes et des habitations » (rapport du BAPE no 267).
Il n’est pas trop tard pour redresser la situation à la faveur de l’éolien, les élus doivent abandonner ces projets diviseurs et revenir à l’essentiel, la communauté n’en sera pas plus pauvre, bien au contraire. La vraie richesse, les citoyens des villages ruraux la possèdent déjà : qualité de vie, quiétude, paysages, dynamisme et vivre ensemble. Pourquoi refaire le pavage si personne n’y circule ou améliorer le parc du village si les gens ne se parlent plus. Les gens avant l’argent.
Lettre ouverte de Claude Charron, riverain du projet éolien de l’Érable