Denise Bombardier, un monument du journalisme, s’éteint après une vie remarquable

MONTRÉAL — «Elle n’avait peur de rien à une époque où beaucoup de gens ont peur de tout.»

C’est en ces mots que Michaël Nguyen, le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et collègue de Denise Bombardier chez Québecor a décrit la disparue, dont le décès mardi matin a provoqué une onde de choc au Québec.

L’autrice, journaliste et chroniqueuse avait 82 ans. 

Sa famille a précisé par voie de communiqué que Mme Bombardier «s’est éteinte paisiblement tôt ce matin (mardi) à la Maison de soins palliatifs Saint-Raphaël à Montréal des suites d’un cancer fulgurant, entourée des gens qui l’aimaient».

Figure incontournable des médias québécois depuis des dizaines d’années, elle était jusqu’à tout récemment chroniqueuse au «Journal de Montréal»; son dernier texte date de la fin du mois de mai.

«Elle savait tout»

«Elle savait tout», raconte Micheline Fortin, qui fut sa recherchiste successivement aux émissions «Noir sur Blanc», «Raison Passion», «Aujourd’hui Dimanche» et «Le Point». «Elle était polyvalente dans tout et elle était très rigoureuse. Elle était exigeante au niveau du factuel: il fallait que tu aies vérifié l’information et il fallait que tu sois certaine, quand tu écrivais quelque chose, que c’était comme ça. Elle voulait avoir l’heure juste pour tout.»

La sénatrice indépendante et ex-journaliste à Radio-Canada, Julie Miville-Dechêne, l’a connue à son arrivée à la société d’État, où Mme Bombardier était déjà une vedette de l’information: «Elle tranchait beaucoup avec le modèle féminin dans notre métier. Elle a cassé le modèle de la journaliste réservée.»

«Ce qu’elle va laisser au Québec, c’est le journalisme d’opinion par une femme qui n’avait pas peur de déplaire, qui n’avait pas peur de susciter la controverse. Certains diront qu’elle en mettait trop, qu’elle était dans la démesure. Oui, c’était vrai, parfois! C’était une femme qui n’était pas dans la modération, mais ça, comme modèle féminin, j’ai trouvé ça franchement très libérateur», poursuit la sénatrice.

«Elle a établi que, pour les femmes journalistes, qu’il n’y avait pas de limites, qu’on pouvait parler, qu’on pouvait susciter la controverse, qu’on pouvait avoir des ennemis et qu’on pouvait survivre à ça.»

Une libre penseuse

Son grand patron à Québecor, Pierre Karl Péladeau, la côtoyait régulièrement et ne tarissait pas d’éloges à son endroit. Mais une chose ressort lorsqu’on lui parle, soit que Denise Bombardier était un esprit farouchement indépendant: «S’il y avait quelqu’un éventuellement qui pouvait penser orienter Denise Bombardier, ben là, oh là là! (rire) il est mieux de se lever très, très, très tôt, mais je pense que c’est impossible. C’était une libre penseuse. Elle l’a toujours été.»

M. Péladeau a tenu à souligner le fait qu’elle s’était taillée une place dans un environnement, au milieu du XXe siècle, qui était hostile aux femmes: «C’est l’histoire de sa vie, c’est l’histoire d’une femme qui s’est battue pour réussir et on ne peut pas faire autrement que de conclure qu’elle a réussi.»

Son ami, le chef cuisinier et homme d’affaires Ricardo, qui la fréquentait régulièrement, se rappelle «des fous rires constants, une joie de vivre incroyable. Elle aimait vivre, elle aimait ses amis, elle aimait sa famille». Mais surtout, dit-il que «c’est probablement la femme la plus intelligente que j’aie connue. Une intelligence rare parce qu’elle était doublée d’une sociologue. Elle avait une analyse qui lui était propre et elle aimait énormément tous ceux qui avaient une opinion, comme la sienne ou diamétralement opposée. Ce qu’elle aimait, c’était la discussion, la réflexion.»

L’affaire Matzneff de retour dans l’actualité

Le décès de Denise Bombardier n’est pas passé inaperçu en France, où elle était très connue et appréciée tant comme autrice que comme animatrice. Et sur plusieurs sites d’information français, on repasse l’échange d’anthologie sur le plateau de Bernard Pivot où elle avait été la première à dénoncer sans ménagement l’auteur Gabriel Matzneff, qui se vantait de ses conquêtes sexuelles de jeunes filles mineures, l’accusant d’abus et de se servir de la littérature comme d’un alibi.

«Pour moi, c’est quelque chose qu’il faut rappeler, estime Julie Miville-Dechêne. À son époque, prendre position publiquement sur un plateau très écouté contre des figures de proue littéraires en France parce qu’on glorifiait les relations avec les jeunes filles mineures, pour moi c’était très courageux.»

Née à Montréal en 1941 dans une famille modeste, Mme Bombardier a fait ses études en sciences politiques à l’Université de Montréal. Elle est ensuite allée à la Sorbonne dans les années 1970 pour obtenir un doctorat en sociologie.

Au cours de sa longue carrière, elle a animé plusieurs émissions à Radio-Canada, dont «Le Point», «Trait d’union» et «Aujourd’hui dimanche». Elle a aussi contribué à plusieurs autres médias québécois et français au fil du temps, notamment «Le Monde», «L’Express», «Le Devoir» et «L’Actualité».

Denise Bombardier a également écrit une vingtaine de romans et d’essais. 

Denise Bombardier a été nommée à l’Ordre du Québec en 2000, puis admise à l’Ordre du Canada en 2015. Elle a également été reçue officière dans l’Ordre de la Légion d’honneur de la France en 2009.

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Le décès de Denise Bombardier a suscité beaucoup de réactions. En voici quelques-unes en rafale:

– François Legault, premier ministre du Québec

«Bon voyage chère Denise. Brillante, courageuse, drôle. Amoureuse du Québec et de la langue française.»

– Marc Tanguay, chef du Parti libéral du Québec

«Figure marquante de notre paysage culturel québécois, la carrière impressionnante de Denise Bombardier, son engagement à faire rayonner notre langue française et son franc-parler resteront dans nos mémoires.»

– Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de Québec solidaire

«Une figure marquante de l’espace public québécois et une grande amoureuse de la langue française nous quitte.»

– Paul St-Pierre-Plamondon, chef du Parti québécois

«Intellectuelle et autrice renommée, Denise Bombardier aura témoigné durant toute sa vie, avec courage et éloquence, de la nécessité de débattre et d’assumer ses convictions dans l’espace public. Authentiquement attachée au Québec, on se souviendra de son amour pour la langue française.»

– Justin Trudeau, premier ministre du Canada

«Tenace, passionnée, intelligente, courageuse – Denise Bombardier incarnait toutes ces qualités, et bien d’autres. Mes plus sincères condoléances à sa famille et à ses amis. Son influence sur le Québec a été immense et son œuvre lui survivra assurément.»

– Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

«Mme Bombardier aura été un monument dans l’espace culturel, politique et intellectuel québécois, d’une rigueur implacable dans ses convictions mais capable d’évolution et aussi de cette spontanéité parfois brave qui nourrit la réflexion de tous.»

– Stéphane Laporte, auteur et chroniqueur

«Denise Bombardier, une brillante, dans tous les sens du terme. Comme il y a des divas de la chanson, elle était la diva de l’information. Une virtuose de l’opinion. Une star de l’intelligence. Elle nous a donné le goût de réfléchir.»

– Pierre-Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor

«Notre grande Denise Bombardier, celle que toutes les Québécoises et tous les Québécois connaissent pour sa verve, une femme d’opinion et de courage, nous manquera profondément.»

– Jean-François Lépine, ex-journaliste et diplomate

«Quelle triste nouvelle! Tellement soudaine. Nous perdons une grande communicatrice et un esprit libre et audacieux.»