Que sera 2023 pour la rivière Bécancour?
L’année 2022 a été décevante pour la rivière Bécancour, aux dires de l’Association de protection du lac à la Truite d’Irlande (APLTI), particulièrement dans le plan d’action 2022-2025 du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, déposé en juin dernier.
Pourtant, celle-ci a été très riche en rapports scientifiques venant complémenter les recommandations du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur les résidus miniers amiantés.
Le premier rapport scientifique reçu en janvier intitulé «Les impacts des activités minières d’amiante sur l’évolution du lac à la Truite d’Irlande» a été réalisée par le doctorant Olivier Jacques et son professeur Reinhard Pienitz. En mai, la plus importante étude de ce genre en Amérique du Nord intitulée «Études paléolimnologiques des lacs du bassin de la rivière Bécancour» a aussi été présentée.
Voici certains extraits de leur conclusion :
- Les présentes études ont permis de mettre en évidence plusieurs impacts des activités minières et de leurs vestiges sur le lac à la Truite d’Irlande du réseau hydrographique de la rivière Bécancour.
- La perte du lac Noir a également facilité l’arrivée d’eaux usées et de nutriments en provenance de la ville de Thetford Mines au lac à la Truite, ce qui a entraîné son eutrophisation rapide ainsi que les mêmes problématiques qui se poursuivent en aval aux lacs William et Joseph.
- Leurs conclusions mettent en évidence l’importance de réaménager un important bassin de rétention des sédiments et des nutriments en amont du lac à la Truite, ce que constituait naturellement le lac Noir avant sa vidange. Plus encore, il importe d’attaquer les principaux problèmes à la source et de freiner rapidement l’érosion des résidus miniers vers la rivière Bécancour et la pollution associée aux rejets d’eaux usées. Au rythme des taux de sédimentation actuels, et considérant la faible profondeur du lac à la Truite, la pérennité de ce milieu aquatique est fortement compromise.
- Des quantités importantes de fibres ont également été trouvées dans les eaux de l’étang Stater et du lac à la Truite. Ils ne prétendent pas que la présence de fibres d’amiante dans les sédiments du réseau de la rivière Bécancour représente nécessairement un danger important pour la santé humaine (et écosystémique). Cependant, ces résultats devraient être connus et portés à l’attention générale en attendant de plus en amples analyses. Ils ont aussi démontré que l’étang Stater et les lacs à la Truite, William et Joseph présentaient un état de détérioration plus important avant 1980‒90. Les taux de sédimentation sont désormais un peu plus faibles et la qualité de l’eau est meilleure, ce qui prouve que la condition des lacs n’est pas fixe et qu’elle peut s’améliorer.
Un autre rapport accablant de la présence de l’amiante dans la rivière a également été déposé en janvier 2022 par GROBEC intitulé «Suivi de la qualité de l’eau du secteur minier de la Haute-Bécancour 2021». Cette vaste campagne d’échantillonnage de la rivière Bécancour et du ruisseau Poirier s’est poursuivie de mai 2021 jusqu’à la fin octobre 2021, aux deux semaines. Ce projet a été possible grâce à une contribution du Programme de soutien régional aux enjeux de l’eau. L’objectif principal de ce suivi est de comparer la qualité de l’eau de la rivière Bécancour en amont et en aval des sites miniers d’amiante afin de déterminer si l’érosion hydrique de ces sites a un impact défavorable sur les écosystèmes aquatiques ainsi que sur la vie aquatique et humaine de la Haute-Bécancour.
L’APLTI est restée surprise que l’étang Stater et le lac à la Truite d’Irlande ne fassent pas partie de ce vaste échantillonnage. Ces étangs d’eau sont les plus impactés par ces résidus miniers amiantés. De plus, ils sont régulièrement fréquentés par la population pour des activités aquatiques. Compte tenu des coûts élevés (près de 1000$/échantillon) associés à l’analyse de chaque échantillon d’amiante, faute de ressources et de temps, seuls deux échantillons ont pu être réalisés dans ces lacs à notre demande.
Dans leur conclusion, GROBEC statue :
- Qu’il est donc possible que les activités minières sur le territoire de Thetford Mines aient un impact négatif sur la qualité de l’eau de la rivière Bécancour et ce, malgré les indications de la Directive 019 sur les activités minières du ministère de l’Environnement. La présente étude montre que l’amiante se retrouve en grandes quantités dans le bassin versant, visiblement touché par les résidus miniers amiantés. De plus, en vertu de la Loi sur le développement durable, l’importante présence d’amiante dans la rivière Bécancour devrait être analysée selon les principes de précaution et de prévention.
- Compte tenu des effets carcinogènes sur l’humain de l’amiante dans l’air bien connus et documentés, les fibres d’amiante emportées par la rivière Bécancour devraient être contenues à la source. Des mesures de rétention des sédiments amiantés à la source sur les sites miniers dont elles émanent devraient être mises en place à court terme. Cette recommandation va dans le sens des constats et recommandations de la commission d’enquête du BAPE sur l’amiante. Celle-ci constate le peu de données et l’absence de suivis pour documenter l’effet des haldes de résidus miniers.
Malgré toutes ces études scientifiques incluant le coût du BAPE sur «L’État des lieux et la gestion de l’amiante et des résidus miniers amiantés», après 23 mois de concertation, le comité composé de six ministères et deux organismes mandatés par le ministre de l’Environnement afin d’élaborer un plan d’action suite aux recommandations ont jugé que la rivière Bécancour n’était pas prioritaire pour être inclus dans ce plan d’action 2022-2025. Difficile à croire qu’autant de professionnels en environnement ont pu ignorer toutes ces études scientifiques et recommandations ou serait-ce un manque de volonté politique? N’oublions pas qu’en 1985, le ministère de l’Environnement publiait un rapport intitulé «La Bécancour, une tâche urgente».
Ce plan d’action 2022-2025 a pour objectif numéro un de s’attaquer au passif lié à l’amiante. Comment se fait-il que la rivière Bécancour ne soit pas considérée comme un passif minier? En ce qui concerne les eaux de surface, La quatrième mesure mentionne, entre autres, que le gouvernement du Québec mettra en place, durant trois années consécutives, un premier bloc de suivi sur les deux bassins versants concernés, soit Bécancour et Nicolet Sud-Ouest. Cette approche permettra d’évaluer la situation sur le territoire, soit l’étendue spatiale et l’amplitude des problèmes rencontrés, selon la composante de l’écosystème et le paramètre évalué, car l’amiante n’est pas le seul contaminant qui pourrait causer des impacts sur l’écosystème. Des échantillonnages en amont et en aval des haldes permettront de voir l’effet de ces dernières sur les cours d’eau. Pourtant beaucoup d’échantillonnages récents et d’évaluations scientifiques existent déjà.
Il est également mentionné que «le gouvernement du Québec mettra en place une table de concertation réunissant des représentants de citoyens, des entrepreneurs, des associations de travailleurs, des partenaires régionaux (associations, municipalités régionales de comté et municipalités) et les représentants ministériels. Une place particulière sera réservée à des représentants de communautés autochtones touchées par les questions relatives à l’amiante. Les membres de cette table de concertation seront nommés par le gouvernement, à partir de recommandations soumises par les milieux directement concernés». Pourquoi notre association n’a pas été invitée à cette table?
Selon le bureau de la députée Isabelle Lecours, «le plan proposé par le gouvernement est une réponse au BAPE, mais certainement pas un point final à une situation qui s’est créée sur des décennies. Comme le plan l’indique, nous souhaitons créer des conditions pour effectuer une transformation qui se fera sur une longue période et nous devons acquérir des connaissances pour trouver des solutions efficientes aux conséquences de l’exploitation de l’amiante. Ces démarches prendront du temps, nous le savons tous, et nous devrons travailler de manière collaborative pour y arriver». Dans l’entrevue de Mme Lecours diffusée à la radio locale, la rivière Bécancour semble être totalement absente.
Pourtant nous avons la solution, soit de réapproprier le lit de la rivière Bécancour à son ancien puits le lac Noir. Cette solution est appuyée par une étude faisabilité et recommandée par la science et notre organisme de bassin versant. Seule, la volonté politique est manquante.
Si la rivière Bécancour est absente du plan d’action 2022-2025, ne serait-ce pas plutôt une décision politique? Serions-nous face à des gouvernements qui ne cessent d’atermoyer depuis 1985? Qui remet les choses à plus tard, afin de gagner du temps par des faux-fuyants ? Espérons qu’en 2023 la vision du gouvernement et de son ministre de l’Environnement verra que la restauration du lac Noir serait quelque chose d’unique en son genre, un événement qui marquerait l’histoire tout comme sa vidange l’a été dans les années cinquante par le gouvernement conservateur de Maurice Duplessis. Quel gouvernement osera relever le défi de restaurer le lac Noir et de passer à l’histoire?
Source : Association de protection du lac à la Truite d’Irlande (APLTI)